jeudi 6 avril 2023

Euthúmèma XXVIII (réflexions)

[Depuis le 06 avril 2023, avec mises à jour périodiques. — Since April 06th 2023, with periodical updates.]

Pour l’homme rationnel qui contemple son existence, la matière est un aspect du macrocosme, du vaste plan cosmologique qui est connaturel à l’expérience qu’il fait de sa nature et de ses lois, sous les rapports de la génération et de la corruption, de la continuité et de la discontinuité; mais lorsqu’il étudie la matière et la réduit à n’être plus, sui generis, qu’un microcosme qui contient une nature et des lois qui lui sont propres, abstraction faite du macrocosme dont il fait partie; et lorsqu’il considère alors les rapports des objets matériels entre eux, à l’intérieur d’un macrocosme qui constitue l’arrière-plan muet de son action intellectuelle, il érige l’agrégation des objets qu’il étudie en une unité artificielle, apte à recevoir une identité qui lui est propre, abstraction faite de sa dimension cosmologique comme de celle de l’esprit qui exerce sur lui son action: telle est une des conséquences de la révolution scientifique.

La loi est le principe qui assure l’ordre du monde et elle suppose, afin qu’elle soit pleinement intégrée et assurée, un conscience, non seulement de sa manière d’être, c’est-à-dire de ses mécanismes et de leur opération, mais également de l’intelligence qui l’ordonne et de la finalité en vertu de laquelle cet ordonnancement se produit afin que, dans la liberté, chacun puisse y adhérer pleinement et contribuer à son actualisation: la science, par conséquent, est l’activité que mène l’intelligence afin de parvenir pleinement à cette conscience qui permet à l’homme, non seulement de participer à la nature de l’intelligence ordonnatrice, mais aussi à ses fins, selon la plus haute conception de la bonté — la seule digne de qualifier cette fin —, de la vérité — qui l’aperçoit complètement et adéquatement — qui en réalise la qualité —.

Il y ceux qui savent (de fait) et qui devraient savoir (de droit); ceux qui ne savent pas et qui ne devraient pas savoir; ceux qui ne savent pas et qui devraient savoir; et ceux qui savent et qui ne devraient pas savoir.

Il n’existe pas d’attitude moins scientifique que celle de considérer comme étant pleinement avérées, les idées et les conceptions qui, si brillantes fussent-elles par ailleurs, en raison de la plausibilité à laquelle leur logique interne et leur cohérence explicative accorde un pouvoir de conviction encore plus grand, et de la puissance de l’imagination qui a procuré cette invention, ne trouvent pas dans l’expérience objective une confirmation indépendante et réelle.

Le présage, tout comme la prophétie, ne sauraient trouver de confirmation autrement que ex post facto, c’est-à-dire lorsque leur réalisation se sera effectivement avérée.

L’utilité, c’est l’activité qui n’a de valeur que pour soi ou encore celle que l’on ne reconnaît pas avoir de valeur pour autrui; le travail, c’est l’activité qui, indépendamment de la valeur, réelle ou virtuelle, qu’elle comporte pour soi, possède une valeur, définie ou susceptible de l’être, pour autrui et pour l’ensemble de la société.

La décadence d’une société commence le jour où ses membres choisissent d’adopter une conduite immorale, d’abord subrepticement, puis de plus en plus ouvertement, sous le regard de concitoyens qui, sans nécessairement approuver, préfèrent considérer leurs actions sous le regard d’une indifférence morale, si ce n’est d’une «amoralité» pratique.

L’illégitimité ne saurait se soutenir et se justifier par l’illégitimité, car seul ce qui est juste peut recourir aux principes de la justice afin de trouver en elle les motifs de sa justification et que, par conséquent, le jugement qui l’apprécie fait la distinction entre ce qui est juste et ce qui en déroge, de près ou de loin, en tout ou en partie.

Le cartésianisme est véritablement le moment capital d’une rupture épistémique radicale dans l’histoire de la pensée, un bris dont l’importance ne saurait être ni exagérée, ni occultée: car au lien d’inciter les penseurs à réfléchir sur la valeur de l’enseignement hérité jusqu’alors par tous les intellectuels de l’époque, qu’une histoire de la philosophie et un enseignement traditionnel, propagé par des canaux parfois formels, comme les milieux de l’éducation officielle, parfois informels, comme dans les milieux familiaux et du commerce entre les particuliers, avaient apporté jusqu’à eux, il a cru bon de tout rejeter en bloc, de tout considérer comme illusoire, comme étant l’artifice magistral d’un quelconque Malin Génie, afin de retrouver les bases sur lesquelles édifier une épistémologie nouvelle, bases qu’il établit en identifiant la pensée comme étant le fondement à la fois de l’existence de la nature, de celle de l’homme et de celle de Dieu, mais sans pour autant reconnaître l’essence de ceux-ci, telle qu’avait pu le lui révéler une expérience intime avec les choses, sans recourir au truchement d’une pensée qui se mettait en doute, en admettant la possibilité d’une errance illusoire certes, mais en gardant néanmoins confiance en sa capacité de découvrir le vrai et de savoir le distinguer du faux.

La transcendance est l’attitude de la conscience par laquelle celle-ci s’extrait de la réalité, se détache d’elle et la «survole», pour ainsi dire, afin d’en saisir la particularité et la singularité et, ce faisant, en apercevoir et en concevoir l’essence, indépendamment de ses propres déterminations physiques, mais non pas en les niant et en les anéantissant autrement, mais en en suspendant la perception interne, afin de porter et de concentrer plus implicitement son attention sur la dimension de l’expérience qui est extérieure à elle, dans la compréhension qu’elle en effectue et qu’elle en acquiert: ainsi permet-elle de réaliser en plus haut une des deux postures fondamentales de l’esprit — l’être-en-dedans de l’intelligence, de l’intériorité, de la réflexion et de la contemplation —, l’autre étant l’être-en-dehors de l’extériorité, de la sensation, de la perception, de l’émotion, de la raison et de la volition menant à l’action, lorsque l’objet de cette présence ne dépasse pas un certain seuil dela sensibilité ou, dans le cas contraire, du réflexe produisant une réaction.

La théorie de l’égoïsme intéressé, qui propose que ce sentiment trouve naturellement un frein dans les effets, délétères pour soi, que la conduite qui en procède produira pour le milieu, autant physique que naturel et social, ne saurait trouver de justification adéquate en droit, mais seulement une confortation subjective, en raison des avantages plus ou moins immédiats qui procéderont de cette suffisance dont on retiendra les «bienfaits» pour soi, mais en omettant de considérer, ou en les considérant incomplètement, les dommages qui en résulteront, autant pour soi que pour autrui et pour le milieu: pourtant, ceux-ci ne sont pas inexistants, en raison du lien organique qui existe entre l»’individu et son milieu et ce n’est que dans un acte e générosité — contraire à l’égoïsme — que celui-ci parviendra à s’extraire de sa complaisance et à désirer pour la nature comme pour la société un bien qui en minera la caractère involutif et décadent.

Le mythe est une histoire dont le référents du langage qui le constitue sont connus des auditeurs et des locuteurs de l’époque, mais ils sont transformés par le temps qui en codifie, en altère et en occulte les usages, de sorte à échapper ainsi aux auditeurs et aux locuteurs des époques futures: pour le comprendre adéquatement, il faudrait par conséquent, en autant que faire se peut, lui restituer son langage propre et le réinterpréter dans un langage contemporain, afin de la rendre plus accessible aux auditeurs et aux locuteurs qui en prendront connaissance dans le futur, sans se trouver soumis aux caprices d’un entendement dont les référents sont étrangers à ceux qui les ont constitués à l’origine afin de recevoir une signification qui, tout en leur semblant être de la plus haute authenticité, n’en restera pas moins fantaisiste et construit.

Lorsque l’on définit la moralité par la puissance de faire une chose, plutôt que par l’essence qui est réalisée par son entremise, l’on accomplit un glissement moral qui est inadéquat puisque non seulement toute puissance procède-t-elle d’une essence qui, étant une nature douée de conscience, de jugement et d’intelligence, évalue la qualité et la valeur de l’effet qui en résultera pour elle-même, mais encore s’exerce-t-elle en vertu également de l’essence qu’elle affecte et sur laquelle elle produit un effet dont la force et la valeur sont aptes à être connus, conçus et estimés par la conscience puissante et agissante, apte également à exercer son libre arbitre afin d’en maintenir, d’en empêcher, d’en transformer et d’en optimaliser la finalité, l’intensité et la modalité, selon les valeurs du bien, du vrai et du beau, une action convient en tout à un être qui est libre et moral, susceptible par conséquent d’orienter et de déterminer la puissance qu’il lui appartient d’exprimer.

La puissance est un moyen qui ne peut se suffire à lui-même, car alors elle s’exerce aveuglément, un peu à la manière d’une énergie sans objet qui se consume, sans que les bienfaits de son irradiation ne puissent se faire sentir par un destinataire, ni qu’elle même ne connaisse de satisfaction, soit à la production de son action, soit à la réalisation de l’effet qui en résulte: ce n’est que lorsqu’une puissance émane d’une essence qu’elle réalise sa potentialité, à la fois par rapport à cette essence, et aussi aux existences qu’elle affecte, et cela uniquement si elles les accomplit, autrement elle participe à la dégradation et à la destruction de leur être, sans qu’il n’en résulte aucun bienfait pour ces objets, ni pour le monde qui les accueille et qui les maintient; c’est que la puissance est un facteur de réalisation ou d’empêchement qui, afin que la conscience puisse en apprécier l’importance, doit laisser se mesurer son effet en référence à un ordre de valeurs qui, s’il en inspire adéquatement l’action, permettra de juger de sa pertinence et de sa signification pour le monde en lequel elle manifeste la qualité de l’essence dont elle émane et elle exprime la valeur de l’effet sur les existences qu’elle affecte et qu’elle transforme.

L’ambition effrénée est au mieux le fossoyeur de l’amitié et au pire son ennemi.

Si les sciences de l’homme peuvent parfois révéler, dans les cas particuliers, les instances d’une injustice, de même qu’elles peuvent permettre à la conscience d’arriver à en formuler une conception adéquate, compréhensive et intensive, elles ne sauraient, si elles sont conformes aux principes de leur déontologie, constituer une tentative pour elle de se réconcilier ni avec sa présence, ni avec son occurrence, sauf à découvrir dans le répit qu’un tel atermoiement peut offrir, un moyen de l’apercevoir et de redresser les circonstances où elle prévaut.

Le mal n’est point une essence, puisqu’elle en est la privation — celle du bien —, mais il est une qualité qui décrit le fait de cette privation, comme la méchanceté et la mauvaiseté décrivent la disposition à rechercher cette absence activement, en agissant positivement en vue de la produire, ainsi que la souffrance qui peut en résulter, soit passivement, en s’abstenant de toute action qui pourrait tantôt l’empêcher, tantôt l’atténuer et tantôt le faire disparaître, selon la possibilité qui est laissée à l’agent d’agir ainsi.

La disposition sociale est généralement positive ou négative et elle devient le reflet de la qualité des expériences qui ont été éprouvées par la conscience dans ses rapports avec autrui, depuis le commencement de son existence (ce qui permet de remonter jusqu’à la naissance de l’individu et même au-delà, dans les vies antérieures, lorsque celles-ci deviennent l’objet d’une anamnèse et d’une réminiscence qui la confirme, du moins subjectivement), telles qu’elles l’affectent dans l’intériorité de son être, qu’elles soient accessibles dans son souvenir ou qu’elles exercent sur celui-ci une influence implicite, sans que celui-ci ne se les remémore consciemment: positive, elle porte à vivre son rapport avec autrui de manière optimiste, aimante, active et constructive; négative, celui-ci prendra une coloration indifférente, passive, pessimiste et défaitiste et parfois même destructive, lorsqu’il résulte d’une haine qui naît en sa personne, suite à l’expérience qu’il a vécu.

Tel est celui qui, dans la société civile, en temps de paix et dans un contexte où serait censé prévaloir l’esprit de collégialité, trouve à s’exhausser, ou l’institution, ou l’organisation, ou le groupe auxquels il appartient, en veillant à diminuer autrui, à l’humilier, à le dévaloriser et en général à le déshonorer, soit en pensées, soit en paroles ou soit en actions.

L’effectivité d’une action se laisse apprécier à la nature et à la qualité de l’effet qu’elle produit: mais comment parvient-on à estimer l’importance de celle-ci lorsque l’action d’où est issue la conséquence est subtile et les moyens qu’elle emploie afin de produire ses résultats est imperceptible et peut-être même insaisissable, sauf pour les esprits les plus perspicaces et les plus clairvoyants.

Le mal est le terme qui recouvre tout ce qui ne réalise pas le bien qui aurait pu s réaliser et dont le degré illustre quel est l’écart entre le bien qui aurait pu se manifester et celui qui survient dans l’actualité des événements; et lorsque l’on évoque une disposition au mal — la méchanceté —, celle-ci signifie une négativité par laquelle soit l’agent moral ne contribue pas à la réalisation du bien, soit en favorise et en encourage la non-réalisation, soit il s’oppose activement à elle, en produisant une forme qui en représente l’antipode et le contraire, soit il demeure impassible devant cet état d’inertie ou d’opposition.

L’ignorance est un état de non-connaissance; or la connaissance est l’acte de l’appréhension de ce qui est; donc l’ignorance est la défaut de l’appréhension de ce qui est: mais qu’est-ce que ce qui est vrai ? ce que notre expérience révèle à la conscience comme l’étant ? ce que l’autorité révèle à la conscience comme l’étant ? ce que l’autorité juge digne de révéler à la conscience ce qui l’est ? ce que l’autorité érige en système de savoir comme étant, de droit, l’unique conception de ce qui est digne d’être révélé à la conscience ? et que se produit-il lorsqu’il existe une contradiction entre l’expérience personnelle et l’autorité constituée, de sorte que ce qui est su par la conscience comme étant distinct de ce que l’autorité estime être digne d’être su par la conscience comme étant ce qui est vrai et, sans le contredire, le complète, le dépasse, le parfait, l’accomplit et l’enjoint à rejoindre un état de plus grande intelligence encore ? et ce faisant, remet en question, sans peut-être même le désirer ou chercher à le faire, ni même l’avoir anticipé, le statut que s’est vu octroyé l’autorité, par sa propre volonté, par l’histoire, par la tradition et par l’assentiment commun, d’être l’unique source et le dépositaire le plus sûr et le plus élevé, de la matière et du contenu de ce qui est estimé digne d’être connu et révélé comme étant ce qui est, et par conséquent de ce qui est vrai ? et quelle reconnaissance l’autorité a-t-elle le devoir d’exprimer et se sent-elle obligée de témoigner envers celui et tous ceux qui lui permettent de lever le voile sur le mystère de ce qui est, jusque lors inexploré et inexprimé ? l’autorité a-t-elle une quelconque responsabilité morale face aux intelligences qui lui permettent de déborder ses cadres épistémologiques et qui peut-être même l’incitent à le faire? toutes ces questions illustrent quel serait son intérêt à se maintenir dans un état d’ignorance ...

La subordination de la compétence à la puissance, à la qualité du mode de l’être, de sa sagesse et de sa vertu de sainteté au degré de la présence de l’être et à la capacité à s’imposer à son environnement physique et social et à le dominer selon les virtualités de son être, indépendamment de la valeur de celui-ci, estimé selon les valeurs transcendantes du bien, du vrai et du beau, représente l’échec de la civilisation occidentale par le divorce qui s’est opéré entre, d’une part, ses réalisations technologiques et, de l’autre, l’harmonie qui existe dans l’âme des particuliers et dans les rapports qui caractérisent leurs interactions, comme en témoigne l’incidence élevée et accrue des guerres, en suivant la courbe de progression de la Révolution industrielle, et l’état déplorable de l’environnement, y compris jusque dans la prolifération des maladies et des conflits intra-sociaux: seul un retour à un état où la puissance se met au service de la compétence, conçue comme étant l’expression d’une moralité excellente, devient le moyen de son rayonnement et de sa progression permettra de rétablir cette situation et, en ce qui concerne l’humanité, de retrouver une dignité qu’elle a délaissée dans sa quête d’une puissance nue et brute qui se rapproche de la sauvagerie.

La puissance d’un État se réalise dans la force institutionnalisée (représentée par la police, l’armée ainsi que les services de renseignement qui en orientent les activités, tels que tous ceux-ci sont encadrés par un code et un appareillage juridique qui, ultérieurement, reposent sur l’institution politique) et suppose qu’elle ait une compréhension et une intériorisation de la qualité de son mode d’être; par ailleurs, celle-ci se réalise dans le gouvernement qui en supervise et en cautionne l’activité et sous-entend une compréhension et une extériorisation de la puissance et l’équilibre entre ce deux états est assurée par la magistrature ainsi que la bureaucratie qui leur donnent une instantiation dans les jugements qu’ils produisent, celle-ci dans l’activité quotidienne des programmes qu’elle met en œuvre et qu’elle gère, celle-là par la caution et/ou la sanction qu’elle leur apporte, lorsqu’elle est amenée à en confronter la pertinence aux lois qui sont censées régir leur application et les moyens qu’elle se donne afin de produire leur effectivité.

L’amitié constitue la condition du passage de la puissance à l’acte, lorsque cette action lorsque cette action est gouvernée par l’idéal transcendant de la bonté, de la vérité et de la beauté et, dans le champ des trois facultés éthiques et morales du vouloir, du savoir et du pouvoir, elle est le facteur qui détermine, dans cette forme de la relation qui implique, dans la mutualité et dans la réciprocité des réceptivités et des efforts,  un être plus accompli, généralement ou à un certain plan seulement, participant à la complétude d’un autre être en voie d’accomplissement et visant à la plénitude de son être, que la puissance de la volonté devienne l’acte de vouloir, celle de l’intellect, celui de savoir, et celle de la capacité et du talent, celui du pouvoir; ainsi, pour toute faculté éthique et morale, il existe le savoir en puissance qui, étant en acte, devient un savoir savoir, le vouloir en puissance qui, devenant en acte, devient le vouloir vouloir, et le pouvoir en puissance qui, se réalisant en acte, devient le pouvoir pouvoir, comme au plan philosophique et ontologique, le savoir en puissance devient, lorsqu’il est actuel, un savoir-savoir, un savoir-vouloir et un savoir-pouvoir, le vouloir en puissance, maintenant en acte, un vouloir-savoir, -vouloir et -pouvoir, la pouvoir en puissance, se réalisant actuellement, un pouvoir-savoir, -vouloir et -pouvoir.

Lorsqu’on hurle avec le loups, comme le veut l’expression, il faut veiller, si cela est du tout possible, à ce que la différence dans la qualité du hurlement ne tarde à éveiller l’attention, et peut-être même la suspicion.

Y en aura-t-il qui voudront nier que la liberté, comme le bonheur qui l’accompagne, lorsqu’elle et utilisée à bon escient, soit un bien précieux qui vaille vraiment la peine d’être préservé: et même lorsque le sentiment est de vivre pleinement cet état, c’est une question légitime de se demander si on est réellement libre et, si oui, que doit-on faire afin de la conserver et de la préserver, si non, qu’est-ce qui empêche d’en jouir et que doit-on faire pour l’acquérir, sans pour autant nuire à la liberté, légitimement acquise, que peut vivre autrui, car autrement, ce serait la liberté qui se nuit à elle-même afin de se réaliser, ce qui serait contredire autant son essence — on ne saurait vouloir être libre pour soi, tout en niant qu’autrui puisse également jouir de la liberté — que sa réalité — une liberté ne saurait exister pour soi, sans pour autant exister également à l’intérieur de l’univers social qui voit en elle une valeur aussi bien individuelle que collective à promouvoir —.

Si le Christianisme est une religion d’esclaves, comme l’affirme en plusieurs endroits Simone Weil, comment expliquer que des esclaves, tels Épictète, aient préféré les Stoïcisme à celui-là ou, a contrario, que des familles Romaines et patriciennes entières, établies dans l’Urbs et dans l’Empire depuis de nombreux siècles, se soient converties à ses enseignements ? Peut-être n’a-t-elle pas adéquatement résolu l’aporie apparente que représente la dialectique du maître et de l’esclave de la phénoménologie de Hegel ?

La pornocratie est le pendant de la ploutocratie puisque, ne pouvant découvrir le monde de l’esprit au-delà de la cause matérielle de l’existence, lequel devient comme une figuration du Bien, à travers les biens qui viennent à le signifier, il ne reste plus qu’à le situer en la persona féminine qui le mieux est apte à le réaliser, voire incomplètement, puisqu’elle ne saurait l’en extraire entièrement,  au plan concret de la richesse et de l’avoir.

Sans droit, la justice n’est qu’un souhait vain et futile; comme sans justice, le droit n’est qu’une puissance illusoire et fictive.

Les imputations «baillons» de l’entorse à l’étiquette sont à l’expérience sociale ce que sont les ombres projetées sur un trottoir, de poteaux et de panneaux de signalisation qui le bordent, par un soleil propice dont ceux-ci interrompent le rayonnement: des distractions certaines et inévitables que seule l’utilité commune peut qualifier et justifier éventuellement.

La thèse fondamentale à une conception radicale de la démocratie, apte à être examinée en profondeur, autant en fait comme en droit, c’est que le peuple, érigé en institution, est légitimé à ne rien reconnaître comme devoir ou comme obligation que ce à quoi il a librement donné son consentement ou, dans l’éventualité que se produise un événement ou un surgissement imprévisibles, rien que ce à quoi il serait susceptible de donner son consentement, si tout loisir lui avait été laissé de considérer les solutions qui s’offraient à lui.

Dans un État qui est juste et bon — juste parce qu’il est bon et bon parce qu’il est juste —, aucun droit ne saurait interdire, ni empêcher ou autrement entraver, l’action qui est bonne, ni celle qui tente de réaliser le bien, que le bien et sa réalisation ne s’effectuent actuellement comme aucun droit ne saurait encourager que se produisent des actions qui dérogent à se principe, et encore moins à en récompenser les auteurs, en préconisant celles qui nient le bien ou qui tendent à en diminuer, soit l’importance, soit la désirabilité, tout en admettant que se déroule une discussion sérieuse et sincère sur ce qui constitue l’essence, la nature, le fondement, la source et la finalité du bien, comme des dispositions individuelles et collectives qui sont aptes à le réaliser et à généraliser les bienfaits qui en résulteraient à l’ensemble social, par l’entremise des individus qui le composent.

Il y a des choses que l’on ignore parce qu’elles sont au-delà de notre capacité à les appréhender, vu les limites propres à l’entendement humain; celles que l’on ignore, parce que manque au champ de la conscience l’expérience qui suscite en elle la connaissance appropriée, au regard de celles qui sont effectivement requises afin de produire un savoir correspondant; celles que l’on ignore encore, parce que l’on ne se donne pas la peine d’explorer, par l’introspection et par l’analyse critique, les expériences que l’on a éprouvées afin d’en retirer les enseignements qui pourraient s’avérer salutaire et bienfaisantes, cela étant; celles qui nous échappent parce que, nous étant révélées par un tiers, elles ne rencontrent pas la réceptivité voulue — en effort dépensé à les comprendre ou en imagination générée à en saisir l’applicabilité à notre situation existentielle propre — afin d’en retirer un profit adéquat; et celles que l’on ne développe jamais parce que fait défaut l’intuition requise afin de les extraire des souvenirs laissés dans la mémoire existentielles ou l’inspiration qui fait naître en nous, spontanément, les idées nouvelles et les concepts originaux qui sont la substance d’une aperception créative et la matière d’une communication innovante et inspirante auprès de nos semblables.

L’humanité en serait-elle à ce point venue à se trouver dépourvue d’une intelligence naturelle qu’elle se sentirait obligée de suppléer à ce manque en instituant une intelligence artificielle ?

À l’encontre de tous ceux qui ne sauraient voir en la tristesse une valeur positive, celle-ci résiderait non pas en encourageant la pérennité de cet état, mais en la constatation qu’elle révèle la présence d’une incomplétude dont elle est l’expression et qu’elle incite à la découverte de sa nature et des moyens susceptibles de la combler et ainsi, de rapprocher la personne d’une complétude encore plus parfaite.

L’inconscient est agissant, en ce sens qu’il porte spontanément à agir avant toute intelligence et toute volonté, de manière pulsionnelle et en réponse à un attrait qui ainsi s’exerce d’une manière inconsciente, le tout selon des lois qui s’exercent conformément à l’histoire singulière des individualités impliquées, qu’il s’agit de décoder et de comprendre, autant d’un point de vue subjectif, par les principaux intéressés, que d’un point de vue objectif, par les observateurs de la nature et de la condition humaine.

L’hystérisme constitue cette tendance en l’individu à agir inconsciemment — positivement ou négativement —, c’est-à-dire de façon irrépressible, sans désir ni volonté d’assumer cette action, s’il y a lieu, ni même d’en apprécier consciemment la nature, par crainte de la censure sociale qui en réprouverait jusqu’à la possibilité, en raison de son aspect problématique et des questions, existentielles et morales, que cet avènement soulève pour la société et pour la compréhension de la nature humaine que fonde sa constitution et son opération.

La nostalgie, c’est le regret de ce qui n’est plus; l’espérance, le désir de ce qui pourrait réellement être; la satisfaction, le contentement de ce qui est, que légitime le savoir que c’est juste, et par conséquent bon; le rêve, l’illusion de parvenir à une réalisation, sans que celle-ci n’ait la possibilité de se concrétiser; le bonheur, la satisfaction de savoir que ce qui est, tout en étant éminemment juste et bon dans son principe, réalise pleinement cette condition dans les faits.

L’idéal que la personne s’applique à réaliser au meilleur de ses capacités — avec l’encouragement des amis qui en reconnaissent la valeur et leur participation à cette fin, lorsque l’effort requis afin de le réaliser dépasse les moyens d’une seule personne et requiert une concertation coordonnée des talents et des volontés — et celui qui demeure seulement esthétiquement et moralement désirable, est la différence entre la véritable liberté, dans l’autonomie d’une destinée qui s’accomplit et le destin dont l’individu subit les péripéties et les vicissitudes.

Une police a pour fonction générale de protéger et éventuellement, à un plan pratique, d’améliorer la vie collective de l’ensemble dont elle assure la sécurité et le bien-être physique et moral et, avec elle, les formes de cette vie que sont la pensée qui se manifeste et les actions qui l’expriment, dont l’État est à la fois le garant, en tant qu’il en établit la présence, et le modèle, en tant qu’il est l’extériorisation de l’esprit collectif, sa représentation auprès de la conscience collective et son incarnation dans les membres qui le composent: ainsi, la fonction policière est-elle à la fois autonome, en tant qu’elle a une conscience aigüe de sa mission, et exécutive, en tant qu’elle actualise les volontés de l’État, et c’est dans le maintien d’un équilibre précaire, mais nécessaire, entre les libertés individuelles, la réalisation de la vie et de l’esprit collectifs et la moralité des conceptions légales et statutaires, comme des conceptions administratives par lesquelles elle les sanctionne, guidée en cela par la magistrature, qu’elle parviendra à réaliser pleinement la noblesse de sa tâche publique.

Si, comme le laisse entendre Bottéro, dans un de ses textes [Au commencement étaient les dieux, Fayard, 2012, p. 2.], la mythologie explique les choses par le vraisemblable, et non par le vrai, alors que la philosophie, elle, cherche le vrai, cette distinction entre le vraisemblable et le vrai, entre ce qui est véridique et ce qui est vérisimilaire, est capitale à la distinction que l’on souhaite faire entre la philosophie et la mythologie. § Mais, si cela est, l’on doit alors convenir qu’il existe des instances où l’explication d’une choses, tout en étant apparemment vraie, ou tout au moins plausible, puisse être seulement approximative, si ce n’est fausse, et où l’explication des choses, tout en semblant inventée, i.e. tout en semblant dépasser ce qui est concevable dans l’imagination, puisse être juste et vraie, ou à tout le moins plus juste et plus vraie que ce que l’on en conçoit. § Et dès que l’on admet qu’une explication puisse être ni entièrement factice, puisqu’elle contient un élément de la vérité, ni complètement véridique, puisqu’elle ne parvient pas à épuiser la compréhension et la profondeur de l’essence qu’elle prétend élucider, puisque donc elle peut être encore plus vraie, l’on s’aperçoit alors qu’il puisse exister une interpénétration du mythe et de la philosophie et que la critique qui cherche à distinguer l’un de l’autre s’articule autour de cette distinction entre le véridique et le vraisemblable.

Le conservatisme primaire propose que rien ne change afin que l’inertie ainsi engendrée d’une stabilité que rien ne saurait ébranler, suscite la condition d’une situation que l’on estime privilégiée, de crainte qu’elle ne se détériore; le révolutionarisme primaire veut que tout change, car ainsi, estimant n’avoir rien à perdre et tout à gagner, les transformations apportés ne sauraient que produire des avantages qui n’existaient pas auparavant pour soi — ces deux propensions existentielles sont en réalité deux formes de la désespérance politique puisque ni l’une ni l’autre ne voient la possibilité d’une évolution à laquelle la conscience collective pourrait consentir naturellement et de manière intelligente, d’un changement qui puisse constituer une amélioration pour soi, comme pour ses concitoyens, et qui se fonderait sur une appréciation sage de la situation sociale, requérant tantôt que l’on en préserve la bonté et la justice du caractère et tantôt que l’on en cherche une forme plus accomplie et plus adéquate, en opérant sur lui la transformation concertée, plus ou moins radicale selon la réalité de la situation.

Deux vérités s’affrontent, dans la conception que l’on s’en forme, le monde contemporain insistant plutôt sur la première forme puisque, étant objective et donc accessible aux sens extérieurs, elle est en principe susceptible d’un consensus général quant à sa nature et à son existence, alors que la seconde forme, étant plutôt subjective et accessible aux sens internes, devient pour cette raison dubitative et contestable par ceux qui ne s’entendent, ni sur l’existence d’un sens interne, ni sur sa nature (ce qu’il est), ni sur son statut épistémologique (sur la certitude à laquelle cette conception peut prétendre): ce sont la vérité épistémologique par laquelle une proposition intellectuelle correspond effectivement à la nature de l’objet sur lequel elle porte; et la vérité ontologique selon laquelle l’objet correspond, dans sa nature, à la forme et au degré de l’existence que son type (son genre) révèle, selon la perfection qu’elle peut éventuellement et effectivement atteindre et dont l’archétype et le modèle sont la représentation dans l’imaginaire.

L’état policier, en lequel l’État ne reconnaît, de facto, sinon de jure, de puissance légitime qu’aux agents politiques, dans l’usage de la force qu’ils seraient habilités à employer dans l’exercice de leur fonction, ne saurait être un état égalitaire alors que celui-ci reconnaît à tous les acteurs sociaux, conformément à leur disposition et à leur capacité à effectuer le bien, dont le droit qui règle leur conduite est le garant en toute justice, en conjonction et en harmonie avec celle de leurs congénères.

Le vraisemblable est de cinq (5) sortes: soit ce qui, tout en veillant à sembler vrai, est manifestement faux (le mensonge); soit ce qui, tout en ayant la même prétention à une qualité véridique, la possède parce qu’elle est effectivement vraie (la certitude); soit ce qui, tout en ayant toutes les apparences de la vérité, a pour cette raison toutes les probabilités d’être vraies (le probable); soit ce dont, malgré qu’il semble être vrai, ne permet d’affirmer ni qu’il est vrai, ni qu’il est faux (l’incertitude); soit ce dont, malgré toutes les apparences de la vérité, ne permet pas encore de conclure qu’il est tel (le doute).

La raison ne saurait exposer ce qui n’est pas d’abord, avant tout, contenu dans l’intelligence et, en tant que méthode au service de l’intelligence, elle comporte deux facettes distinctives: celle qui étudie la matière qui suscite son intérêt et déclenche le processus par lequel elle en aperçoit les principes et les relations constantes qui en découlent (les lois); et celles qui rendent compte, dans la communication, de ces éléments qui, une fois découverts, deviennent incontestables et constitutifs d’un dogme, la Révélation étant la communication des principes accessibles à une raison plus élevée et procédant d’une intelligence plus complète, ne saurait procéder autrement dans l’illustration des principes véridiques qui illuminent sa compréhension et des lois inébranlables qui inspirent son action.

 La pire haine que l’on puisse recevoir est celle que suscite le bien que l’on accomplit et qui est souvent proportionnel, dans l’intensité qu’elle illustre, à l’importance et à l’abondance de celui-ci, surtout lorsqu’elle prend faussement l’aspect d’une reconnaissance et d’une gratitude qui n’en est que le désaveu honteux.

Lorsque l’intellect, étant désintéressé, est ouvert à toutes les vérités qui peuvent se présenter à lui et qu’il a toutes les capacités afin de les appréhender comme de se montrer prêt à faire tous les efforts afin de pénétrer les arcanes les plus obscures et les plus complexes afin d’en percer tous les secrets, ce sont alors les limites de la culture et l’ignorance en laquelle elle se complaît, lorsqu’elle répand et qu’elle enseigne une science incomplète et superficielle, qui expliqueront que l’esprit avide de connaissance ne puisse s’épanouir au maximum de ses possibilités.

La raison moderne, en devenant empiriste, i.e. tournée sur l’expérience et sur l’existence qui la procure à la conscience, et en s’interrogeant exclusivement sur le modus existendi des choses — leur événementialité et les effets qui en découlent la situation et pour l’expérience que la conscience en fait —, s’en tient presque exclusivement au principe de la raison suffisante afin de gouverner son activité, alors qu’elle s’éloigne peu à peu, mais certainement, du principe de l’identité qui s’intéresse au modus essendi des choses (et en particulier des êtres vivants) et qui les considère selon et pour ce qu’elles sont, dans leur essence, pour ne plus voir en elles que des accidents que l’on met au service de l’événementialité, plutôt que comme des agents libres et moraux en vertu de leur essence, et donc aptes à la régénérer et à la perpétuer, sous les formes transcendantes de la bonté, de la vérité et de la beauté.

La suffisance et la vanité sont les deux côtés d’une même pièce, l’une étant le sentiment exacerbé de la dignité associée à un état optimal, désirable et durable dont l’individu ferait l’expérience et qui autoriserait à se montrer indifférent à la situation d’autrui comme à s’imaginer par ailleurs que tout lui serait dû, en vertu de son prestige et de sa situation individuels; l’autre étant celui d’une affectation qui est éprouvée, lorsque cet état est à nouveau confirmé par de nouveaux événements, ou au contraire contredits par ceux-ci, résultant dans un exhaussement ressenti de sa valeur propre, ou par un offusquement de ne pas être pleinement reconnu, en raison de cette contrariété.

Quelle que soit l’ampleur et la portée d’une vérité, son extension et sa profondeur, elle sera toujours interprétée par la conscience subjective dans le sens qui sera le plus favorable à sa puissance, i.e. à l’être existant en tant qu’il s’inscrit durablement dans le monde sous la forme optimale de l’état qu’il éprouve, sauf à être complètement désintéressé quant à la connaissance de cette vérité, du savoir sur lequel elle se fonde et de ses implications pour la vie individuelle des individus qui la composent et de la culture qui en émane.

Livrer un étranger que l’on sait être innocent de tout blâme ou dénoncer un proche que l’on sait être entièrement coupable du tort qui lui est reproché: y a-t-il un drame humain et un dilemme moral plus poignants et saisissants ?

Dans une société que caractérise l’anomie, lorsque l’on n’aime guère un individu, tout en se trouvant dans l’obligation de subir sa présence, la tendance est alors de chercher quels intérêts combler malgré cette situation désagréable; et lorsque cette attitude, répercutée à l’échelle du groupe et de l’ensemble, devient mutuelle et réciproque, l’on assiste alors à une indifférence généralisée face à autrui et à une instrumentalisation de chacun par son voisin, par laquelle chacun recherche prioritairement son bénéfice et son avantage, souvent par son exclusion, ou par l’exclusion d’un tiers qui devient alors le moyen de préserver cet équilibre aberrant qui se développe autour d’un sentiment défectueux.

L’art d’attiser la flamme déclinante de l’amour entre deux personnes sincèrement éprises l’une avec l’autre, comme il arrive parfois, sinon souvent, dans les relations amoureuses durables, telles le mariage, st hélas ! un sujet sur lequel on porte trop peu d’attention sérieuse et prolongée.

Le paradoxe qui veuille que trop de liberté mène inévitablement à la perte de la liberté vient de ce qu’un certain nombre d’individus pour qui la liberté n’est pas un état moral de personnes engagées véritablement dans la quête du plus grand bien pour tous et pour chacun, mais uniquement l’occasion de satisfaire à leurs propres pulsions et à leurs propres inclinations, indépendamment du bien-être d’autrui et de l’ensemble social, sauf lorsqu’il est utile, au plus haut point, pour eux de la considérer et d’y contribuer, emploieront toutes leurs ressources et toutes leurs facultés à la détruire pour autrui mais à la préserver pour soi.

En sacrifiant les conjectures sur les causes formelles et sur les causes finales, au profit d’un intérêt exclusivement centré sur les causes matérielles et les causes efficientes, la philosophie empirique contemporaine, en ignorant les premières, parce qu’elles échappent aux sens, et donc à la mesure, n’en a pas éliminé l’existence mais en a déplacé l’essence, hors de la dimension de la transcendance et de la pensée vers le monde naturel et les a fait se réaliser en l’homme agissant sur la nature et produisant la culture, en incarnant par conséquent en sa personne les mouvements de la pensée et les essences transcendantes qui en fondent l’efficiente et en réalisent les finalités.

D’un point de vue existentiel, la connaissance la plus sûre — en puissance — que l’on puisse acquérir est celle qui justifie l’état actuel de l’organisation sociale, si véridique ou si fausse que fût cette justification, et si parfaite ou si défectueuse que fût celle-ci.

Dans l’innocence, la subjectivité et l’objectivité, c’est tout un.

Aimer, une puissance qui procède de la vie et qui l’infuse, à la hauteur de sa qualité et de son intensité, est un acte qui est entièrement et spontanément libre: voilà donc pourquoi il est à la fois absurde de vouloir commander son apparition et d’en dicter la présence et contraire à une nature véritablement aimante de songer le faire laquelle, tout au plus, ne peut qu’en enseigner le caractère essentiel et l’importance de l’exemplifier dans sa propre vie, ce qui explique la difficulté que l’on rencontre, lorsque l’on désire l’imposer dogmatiquement en principe politique unique.

Tel qu’il est mis en pratique sous sa forme la plus outrancière, le rationalisme est l’éducation des cœurs jusqu’en n’en plus avoir, car rares sont les rationalités qui ne justifient ni le fait accompli, ni l’état existant, de sorte que l’éducation à un état amoral pré-existant ne peut que conduire, chez le pupille, à un sentiment de désillusion et de désabusement qui n’auront d’autre effet, en raison de l’absurdité de la situation d’anomie, à susciter de l’indifférence et de l’apathie.

Dans la pensée courante, rien ne ressemble plus à un dogme qu’une vérité irréfutable, i.e. nécessaire et universelle, mais c’est précisément parce qu’il révèle une telle vérité qu’un dogme est érigé en dogme: peut-être doit-on voir en un tel paradoxe l’expression d’une réticence à devoir accepter comme étant vrai un principe ou une loi que l’on n’a pas soi-même pensée ou découverte et ainsi céder de son autonomie intellectuelle et donner son assentiment à une compréhension de la réalité qui ne procède pas de son propre entendement et de l’illustration appropriée de ses facultés à saisir soi-même ce qui est apparu clairement — et peut-être de façon privilégiée, comme dans la révélation — à l’esprit qui les a aperçues et énoncées.

La trivialité du discours est souvent le signe de l’impréparation ou de l’incapacité à considérer les principes les plus élevés, pour le pas dire les grands principes ou les plus importants pour le cours de l’univers et la présence de la vie.

Lorsque le penseur se montre incapable de surmonter ses propres intérêts, afin de servir, par sa pensée, les intérêts de la vérité, la compréhension qu’il possède des choses se verra réduite au profit qu’il pourra en retirer pour soi et les termes sous lesquels il l’exprimera seront les reflets d’une vision qui ne saurait surpasser les visions immédiates, existentielles, conditionnées par l’espace et le temps, qui concernent et mobilisent sa pensée: ce n’est que dans la mesure où il parviendra à en faire l’abstraction qu’il réussira à se libérer de la douce contrainte que lui imposent ces conditions existentielles et à élever ces considérations au plan de la vérité des principes nécessaires et universels, grâce auxquels il transcendera sa condition humaine, étant limité en cela uniquement par la finitude d’une pensée et d’une imagination qui, si vastes fussent-elles, ne sauraient entièrement faire fi d’une réalité humaine soumise aux nécessités d’une existence biologique et d’une culture sociale.

L’existence que réfléchit l’intelligence de la conscience et que théorise le travail de la raison n’en demeure pas moins un état irréductible, premier, essentiel et nécessaire à ces activités de la pensée et elle représente à la fois le fondement réel et la puissance virtuelle, grâce auxquelles elles peuvent s’élaborer et s’accomplir dans leur quête de la vérité: elle est un préalable à celle-ci — d’où le principe sartrien de l’existence qui précède l’essence, dans la constitution du savoir —, mais cette priorité ontologique vaut d’abord pour l’être raisonnable et pensant qui s’engage sur la voie de la réflexion philosophique, mais ne saurait constituer l’ultima ratio d’une pensée qui s’active, se découvre et se réalise, puisque celle-ci apparaît comme étant l’achèvement d’une existence qui se vit et que, en la transcendant afin d’en découvrir la nature et les principes, elle se distingue d’elle et en fait abstraction, sous la forme d’un détachement qui, pour aboutir à sa perfection — la science, au plan intellectuel, et la sagesse, au plan moral — doit être en même temps désintéressé, ou se trouver dans la situation de pouvoir l’être, ce qui ne nie pas l’état de l’existence, mais l’applique à cette mission épistémologique et morale.

Puisque l’action d’aliéner signifie «|priver quelqu’un de ses droits», que ceux-ci soient naturels, civiques, sociaux, individuels ou collectifs, comment expliquer alors que si peu d’avocats se montrent empressés à spontanément relever cette entorse et à défendre généreusement ceux qui sont les victimes ?

Lorsque l’on considère une situation ou lorsque l’on interprète un propos, afin d’en dégager une signification, la tendance naturelle est d’accomplir cette action de manière à optimiser la puissance de vie qui est la sienne, en vertu de la nature et de la qualité de la situation qui conditionne son existence de sorte que toute conclusion ou toute généralisation qui viendront le compromettre seront jugées irrecevables, souvent a priori subjectivement, voire même qu’ils fussent de la plus haute vérité, lorsqu’elles sont considérées objectivement et de manière tout à fait désintéressée.

La justification ex post facto d’un état, qu’il soit politique, social ou particulier, lorsqu’elle s’avère amorale, c’est-à-dire lorsqu’elle se fonde simplement et exclusivement sur le désir habituel d’exister, plutôt que sur un désir d’exister qui est optimal, utilisera de tous les arguments suffisants à réaliser cette finalité afin de l’accomplir, et ne considère nullement comme étant nécessaire ni leur véridicité, ni leur cohérence, ni même leur éventualité.

Tout le mal consiste à choisir le moindre bien et plus l’on s’éloigne du meilleur bien à accomplir, plus le mal qui en résulte prend de l’ampleur et de l’importance et plus cet éloignement s’accomplit sciemment et en visant et en réalisant l’opposé du bien à réaliser, plus cela dénote la perversité du caractère chez ceux qui manifestent une telle disposition.

Le mal est la subversion du bien, soit en l’opposant directement et en commettant l’acte qui mène à l’effet qui lui est contraire, soit en minant sa réalisation et en causant que sa puissance se manifeste d’une manière moins complète qu’elle ne le pourrait autrement, si ce travail amenuisant ne s’était pas opéré.

La modernité, et cela devient plus clair avec Spinoza, a fait passer la conception de la vie d’un stade abstrait plus élevé, la puissance de l’être dans la plénitude de son essence, à la puissance de l’étant dans l’exacerbation de son existence, ce qui a signifié la substitution de la valeur contingente, temporelle et éphémère de l’avoir à celle, primordiale, éternelle et durable de l’être.

La censure est souvent le voile que jette la conscience critique sur un état, un événement, une situation, un savoir, une proposition ou une assertion qui ont jusqu’alors échappé à son examen et qui, en raison de leur surgissement inopiné, posent problème à son entendement, cela afin à la fois de ne pas avoir à admettre, à soi-même comme à autrui, son ignorance et de pouvoir les examiner en vue de déterminer leur vérité, leur éventuelle utilité ainsi que les risques qu’ils pourraient poser, comme les conséquences inattendues qui pourraient en résulter pour l’état de la société, la constitution de l’État qui l’oriente et la gouverne ainsi que la sécurité des particuliers qui la composent et qui, en diverses capacités, participent à sa vie et à son fonctionnement.

Suivre la lettre de la loi, mais non son esprit, c’est-à-dire utiliser la lettre de la loi afin de se soustraire aux impératifs de son esprit, constitue la manière la plus usuelle de l’illégalité, en lui conférant, par ce subterfuge trompeur, un degré de respectabilité qu’elle ne mérite pas de recevoir.

L’expression «crime parfait» est un oxymore puisque, ne sachant être bon, par définition, en raison de la matière de l’intention qui lui donne forme — quoiqu’il puisse être bon par accident, en vertu de l’effet bienfaisant qui en résulte de manière aléatoire —, il ne peut prétendre à une perfection matérielle et ne comporte de valeur morale pour son auteur que dans la possibilité pour lui d’échapper à toute poursuite juridique et pénale, ne pouvant être positivement identifié comme l’accomplissant, alors même qu’il est la cause effective de sa commission.

L’œuvre de l’homme ne peut s’accomplir sans égard pour la nature qui, directement, en utilisant ses matériaux ou des matériaux qui dérivent de ceux-ci, ou indirectement, en opérant sa configuration et en adaptant sa conduite et ses habitudes à celle-ci, la transforme et imprime sur elle un nouveau caractère: sauf que cette opération ne s’effectue pas gratuitement, puisqu’elle possède une finalité dont la qualité peut se comparer à des modèles optimaux, i.e. transcendants, qu’infusent en commun les idées du vrai, du bien et du beau qui, au moment de les réaliser, apparaissent comme étant paroxystiques, mais dont on s’aperçoit par la suite qu’ils peuvent être à nouveau perfectionnée — avec de nouvelles conceptions et de nouveaux matériaux — de sorte à en améliorer la composition toujours plus, à l’intérieur d’un processus qui a toutes les apparences d’être inépuisables: c’est seulement lorsque l’homme s’extrait de ce processus, par intérêt ou par amour-propre, que l’on peut dire alors qu’il échoue à sa mission civilisatrice.

L’ambition de toute institution étant de perdurer intégralement et d’une manière définitive, elle ne peut espérer réaliser cette permanence que si elle est effectivement parfaite, i.e. complètement et constamment à la hauteur de l’idéal originel qu’elle se propose d’accomplir — pourvu que celui-ci soit lui-même parfait et corresponde à une aspiration universelle et éternelle, à défaut de quoi il devient périmé, étant dépassé par ce qui l’est effectivement —, sauf à prétendre l’être afin de maintenir l’illusion d’un tel accomplissement. § Mais comme ce qui est parfait est susceptible d’une plus grande perfection encore — puisqu’il est dans la nature de la perfection de se parfaire à l’infini, sauf à nier le propre du vivant d’atteindre à une plénitude toujours plus grande de la vie —, toute prétention à une perfection effective, sans éventualité de connaître des transformations futures dans le sens d’une perfection plus grande encore, susceptible d’accommoder toutes les conceptions de la perfection, selon une idée adéquate du bon, du vrai et du beau, ne peut qu’être artificielle et factice, sauf à reconnaître qu’étant, elle est susceptible de devenir encore plus ce qu’elle est déjà effectivement.

D’un point de vue superficiel, le politique maintient, préserve, constitue et perpétue une manière d’être idéale, dont les élites sont réputés être les modèles et les membres de la société ses représentants vivants, aspirant à la réaliser pleinement; mais à un plan plus profond et essentiel, c’est une essence et une qualité de l’être que réalise, ou tend à le faire, le politique dans son action et celles-ci convient à la vie qui en anime et en finalise l’actualité ainsi qu’à la conception que la conscience s’en forme afin de constituer son existence et partage avec les consciences semblables dans leur existence commune, de sorte que la manière d’être qui caractérise un groupe social — amis et connaissances, famille, association, ethnie, peuple, État, nation — est toujours révélatrice — en puissance sinon en réalité, puisqu’un voile protecteur peut en masquer la vérité, soit par pudicité, soit pour la sophistiquer — d’une essence qui lui est propre et qui participe, à un degré plus ou moins adéquat, à celle de la Vie dans toute la plénitude de sa possibilité et de son accomplissement.

Ne pas garder le silence, lorsque l’on devrait s’exprimer, et parler pour ne dire que des choses qui sont sans conséquence; ne pas être présent, lorsque l’on devrait l’être et être présent, lorsque c’est indifférent que l’on y soit; ne pas se souvenir, lorsque ce serait nécessaire de se remémorer et se souvenir d’autres choses que ce qui est juste et vrai; ne pas dire ce qu’il importerait de révéler et dire ce qui est banal et superficiel: voilà autant de situations qui requièrent à la fois une conscience morale développée, un discernement pratique des enjeux de l’existence et des capacités individuelles requises afin de répondre adéquatement aux défis qu’ils soulèvent pour elle.

L’esprit colonial, lorsqu’il s’accompagne d’un complexe de supériorité culturelle, ce qui est souvent le cas, parvient le plus souvent à trouver sa propre confirmation dans l’expérience, mais non pas de manière impartiale: car estimant à prime abord être doué d’une qualité morale ou intellectuelle supérieure, en raison d’être issu d’une civilisation au passé brillant et glorieux et d’avoir bénéficié de la richesse d’une éducation privilégiée, ce qui justifierait le rôle acculturant qu’il est actuellement appelé auprès des membres d’une culture étrangère, le mentor tendra à évaluer le rendement de celui-là à la lumière des théories et des valeurs qui lui furent enseignées et inculquées, sans estimer que celles qui habitent l’intelligences de se pupilles et de ses protégés puissent les valoir, voir même les surpasser et, les évaluant en conséquence, ne peut que conclure en leur inadéquation et donc à l’infériorité morale et intellectuelle de ceux qui les possèdent.

Plus la connaissance est complète et parfaite, plus l’âme acquiert l’humilité sincère et profonde, car cette connaissance inclut — nécessairement — le sentiment de la majesté et de la grandeur de Dieu.

Tout communiquer, seulement par des gestes, sans prononcer de mots, ou en demeurant discret, énigmatique et mesuré dans l’usage de la parole, voilà la fin de l’action symbolique.

Dans le débat historique qui oppose la continuité de l’histoire à sa discontinuité, et nonobstant toutes les péripéties qui pourraient caractériser son mouvement et qui, dans les distinctions radicales que celles-ci pourraient laisser entrevoir — les changements de régime (conquêtes, usurpations du pouvoir  et révolutions), les ruptures épistémologiques, les changements de paradigmes et les crises axiologiques (à l’origine de l’alternance des époques et des civilisations), les perturbations écologiques majeures et les catastrophes majeures (suscitant l’alternance des périodes glaciaires et des périodes de réchauffement, l’extinction majeure des espèces) ainsi que, depuis l’avènement de la vie intellectuelle et rationnelle sur la terre, les renversements idéologiques et l’altération des mentalités populaires comme l’apparition des conceptions religieuses innovatrices — et qui tendraient à confirmer la thèse de la succession des discontinuités, il y a une continuité qui se laisse entrevoir, à l’intérieur d’un schéma ontologique, à savoir celle de la matière (i.e. de l’univers) qui donne suite à l’apparition de la vie et d’espèces, de plus en plus complexifiées et diversifiées, puis de la conscience, du sentiment et de la raison, une genèse qui révèle bien une manière de discontinuité, mais dans le sens d’une perfection qui se réalise, d’une entéléchie qui appartient à la fabrique de l’univers, et qui renvoie à la continuité d’une essence et d’une substance qui sont originaires à ce commencement et à ce déroulement.

Toute expression de soi, pourvu qu’elle trouve son origine en soi, constitue une manière d’auto-justification, c’est-à-dire une émanence dont la qualité, valable plus ou moins universellement puisqu’elle est estimable autant par autrui que par soi en tant qu’elle reflète les valeurs transcendantes du beau, du vrai et du beau, et qu’elle est d’autant plus admirable et digne d’émulation qu’elle les représente, à des degrés divers, dans leur plénitude, devient l’argument du mérite qu’il y aurait à l’affirmer par sa conduite, à la chérir, à la conserver, à la perpétuer, à la préserver, à l’entretenir, à la défendre et à la diffuser.

C’est l’amour de la justice qui prescrit le devoir, l’amour du prochain qui en sent la nécessité et le désir sincère et profond de l’accomplir, l’un et l’autre, qui en forme et en informe l’action: sans ces sentiments, la justice n’est plus qu’un ordonnancement à effectuer, le devoir n’est plus que préceptes à appliquer et à faire appliquer, l’action, une conformité à l’obligation, et le prochain, un moyen vers une fin: l’impératif catégorique de Kant, qui proscrit cette instrumentalisation d’autrui, cache en réalité un impératif moral encore plus important qui s’ancre, non plus dans la raison, comme cela est enseigné habituellement dans les milieux universitaires — quoique celle-ci en soit le moyen par excellence de son énonciation —, mais dans le complexe du désir qui associe l’intelligence de la valeur à réaliser et le sentiment de la valeur éminemment morale de celle-ci.

La question de la relation entre le fait et le droit est le problème juridique fondamental, non seulement en ce qui concerne les situations actuelles, mais aussi dans la formation, l’application, l’évolution et la perfection du droit qui doit toujours composer avec le fait à chaque moment de sa vie dans l’histoire et dans la civilisation qui en cultive l’action.

En raison d’un défaut du souvenir, dont la cause reste toujours à être découverte, l’hystérisme se caractérise par une ignorance inconsciente — refoulée diront certains, et par ailleurs susceptibles d’opposer une résistance à leur anamnèse  — des conditionnements produits par les expériences du passé sur les conduites actuelles et, en raison de cette atrophie du souvenir, de la prédisposition et de la détermination qu’ils opèrent sur les attitudes habituelles de la personne qu’elle tient sous son voile opaque.

Une réflexion critique sur l’actualité demeure une réflexion sur un monde qui évolue et les interprétations qui en sont issues tendent à s’inscrire à l’intérieur de ce mouvement et confirmer, affirmer ou infirmer les valeurs qui en apporteront l’issue la plus favorable , telle que les conceptions, les croyances, les valeurs permettront de l’entrevoir: ce n’est que lorsque l’actualité est révolue, qu’elle peut se désigner être l’histoire, que son évaluation peut s’accomplir de manière plus détachée, mais cette fois-ci à la lumière des conceptions, des croyances et des valeurs plus universelles, spécifiées cependant par la culture dont elle est issue et la tradition et la culture qui en forme le cadre épistémologique et idéologique.

La vertu et le vice se concevant plus aisément lorsqu’il s’agit de les définir dans leur essence, mais la tâche la plus difficile consiste à les identifier, agissants, en chaque personne individuellement, alors que le vice, afin de mieux réaliser son efficace corrupteur, se pare très souvent des atours de la respectabilité — en hommage sûrement à la valeur intrinsèque indéniable de la vertu à laquelle elle reconnaît une antériorité, une priorité et une primauté —, tout en demeurant foncièrement mauvais et maléfique (v.g. le vicomte Valmont dans Les Liaisons dangereuses) et que la vertu, parfois et peut-être souvent exposée, hélas !, à la corruption avant même qu’elle ait pu se connaître, et développant inconsciemment des habitudes qui correspondent à cet avilissement, parfois même à l’insu du principal intéressé, n’est visiblement présente que chez les âmes qui, en raison de leur clairvoyance et de leur perspicacité, ont eu la bonne fortune de la conserver et la capacité infuse d’en connaître la présence et la valeur pour elle.

Si ce n’est déjà fait, la sociologie devrait porter une attention particulière aux détournements de la parole, tels que la médisance, la calomnie et les jugements téméraires et hâtifs, autant d’actes verbaux ad hominem, souvent fondés sur des préjugés individuels, familiaux, de classe et culturels, ainsi que leur formes dérivées formelles, telles les allégations judiciaires, les imputations médiatiques et les diagnostics médicaux, ou informelles, telles les caractérisations infamantes et les analyses dérogatoires, utilisées dans l’opération des mécanismes sociologiques ou politiques du contrôle social et dans l’attribution des biens sociaux, les récompenses et les titres, garants du prestige social et moral.

L’on oublie trop souvent que l’ignorance, au plan de la connaissance, et de l’inexpérience, à celui de la pratique, sont des formes de l’inconscience, même chez les personnes douées de la meilleure des volontés au monde, et qu’elles peuvent concourir à promouvoir et à maintenir l’injustice sociale, d’où le rôle important, dans la vie de la culture et de la société, de l’éducation et de la supervision, aptes à compenser l’une et l’autre déficience, dans le perfectionnement professionnel d’un individu.

Le caractère inévitable de l’erreur et de la faute, qui sont susceptibles d’être commises en raison de l’imperfection et de la perfectibilité de la nature humaine — l’une et l’autre étant un aspect complémentaire de la réalité de l’homme —, n’est pas exclusif, cela étant, du devoir que chaque personne et, le cas échéant, chaque organisation ont d’en reconnaître la présence, d’en réparer les conséquences délétères, d’amender les dispositions et les actions qui ont pu entraîner leur occurrence et de compenser, dans la mesure du possible et en autant où cela tient de son ressort, les inconvénients et les préjudices subis par les individus qui en furent les victimes.

La conception inadéquate qu’autrui entretient au sujet de soi-même, qu’elle soit incomplète ou erronée, qu’elle se fonde sur la simple ignorance ou sur la malice qualifiée, plutôt que sur la bienveillance et la mansuétude, le préjugé individuel ou la perspective issue de la mentalité familiale ou culturelle — une forme de l’ignorance qui s’ignore —, peut devenir une prison sur la personne, surtout lorsqu’elle se recrute l’aval d’une autorité extérieure, ou qu’elle procède directement de celle-ci, laquelle utilisera les moyens sociaux et politiques à sa disposition afin de la réaliser concrètement.

La vertu et le vice se conçoivent plus aisément lorsqu’il s’agit de les définir dans leur essence, mais la tâche la plus ardue consiste à les identifier agissants en la personne individuelle, alors que le vice, afin de mieux encore réaliser son efficace corrupteur, se pare des atours de la respectabilité, tout en demeurant pervers et maléfiques (v.g. le vicomte Valmont dans le roman épistolaire Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos) et que la vertu, souvent même exposée aux tentatives avilissantes de la corruption avant même qu’elle ait pu se connaître, et développer une conscience d’elle-même, et développant inconsciemment, à l’insu du principal intéressé, des habitudes faussées qui correspondent à ce détournement, n’est ostensiblement présente que chez les âmes qui, en raison de la force de leur disposition intérieure, de leur clairvoyance et de leur perspicacité, appuyées en cela par un entourage vigilant, ont la capacité infuse et la bonne fortune de la reconnaître et d’échapper à leurs pièges.

Qu’ils soient fondés sur les fins de la raison, sur les sentiments du cœur ou sur les inclinations des sens, les motifs qui fondent les relations amoureuses, transitoires et plus ou moins éphémères, mirent et reproduisent ceux qui président à la formation des couples qui est plus durable et plus stable, ou qui a toutes les apparences de l’être, les réunissant à des degrés divers, séparément ou en combinaison, et selon un ordre de priorité qui variera d’un couple à l’autre.

La plus haute mission de l’homme, comme de la femme, consiste à réaliser la vie, ce qui signifie non seulement fonder une famille, mais aussi définir  les conditions, tant matérielles que culturelles, sociales, politiques et spirituelles de sa préservation et de son accomplissement, autant dans son aspect individuel des personnes que dans la dimension collective des ethnies, des sociétés et des États — un projet ambitieux, s’il n’en est —, puisqu’il implique de surmonter l’égoïsme et de fonder les relations, autant commerciales, financières, politiques, économiques que sociales et inter-personnelles, sur la justice et le droit qui en font la promotion, dans la reconnaissance mutuelle et l’interdépendance des rapports, que caractérise l’émulation des qualités et des vertus des individus qui les entretiennent.

Le problème de la quadrature du cercle est né de la volonté de résoudre le dilemme, apparemment insoluble, que pose à l’infini l’action, soit d’enclore le carré dans le cercle, soit d’inclure le cercle dans le carré, alors que le premier argument appelle l’autre dans la raison, selon un mouvement dialectique qui fait intervenir la préférence de l’un des deux arguments sur l’autre et de la valeur symbolique qu’ils peuvent éventuellement représenter.

L’ignorance est un mur impénétrable, opposé par le savoir, ou à pénétrabilité variable, selon l’importance de la disposition à l’erreur, un obstacle contre lequel se heurte l’esprit de vérité dans sa tentative d’examiner toutes les sciences traditionnelles éventuelles qui prétendent y conduire et en énoncer les matières, ou encore de partager avec ses semblables celles qui lui sont devenues évidentes, à l’occasion d’une recherche pondérée et sérieuse: cette barrière devient osmotique lorsque la vérité énoncée semble plausible et apte à se réconcilier avec les connaissances acquises ainsi que l’épistémè ambiante qui prévaut, méritant par conséquent un examen approfondi afin d’évaluer, non seulement sa recevabilité, en vertu de respecter le critère de la vérité pleine et entière, adéquatement conçue, autant dans sa profondeur que dans sa compréhension, mais encore les conséquences éventuelles, aptes à être produites sur la stabilité de l’ordre social et politique sur lequel repose le trésor des idées préalablement reçues et cautionnées par l’autorité épistémologique de la culture.

S’il existe un devoir de mémoire, c’est qu’il existe également une disposition à oublier jusqu’aux souvenirs marquants et significatifs pour une collectivité, comme singulièrement pour les individus: ceci constitue également un aspect de l’ignorance qui, lorsqu’il est associé aux sentiments de la honte, de l’humiliation, du remords ou de la culpabilité, peut alors devenir un mobile de l’oubli, lorsqu’il est intentionnel, ou du refoulement, lorsque les raisons de cet offusquement trouvent leur racine dans l’inconscient.

Euthúmèma XXVII (réflexions)

[Depuis le 06 avril 2023, avec mises à jour périodiques. — Since April 06th 2023, with periodical updates.]

Le problème qui surgit, lorsque le penseur s’intéresse à la décadence culturelle, c’est que le processus qui l’apporte se produit imperceptiblement dans l’immédiat et que ses effets se font sentir sur les générations et les siècles de sorte que, lorsque l’on s’aperçoit de sa présence, elle est fermement installée, sans possibilité réelle de la déloger, d’en neutraliser les conséquences perverses et de rétablir la société qui la subit à un état antérieur, au moment où elle a semé les germes de la déliquescence sociale qu’elle a instaurée.

Il y a un côté merveilleux à la Métaphysique de Descartes qui n’est pas sans évoquer les 1001 nuits: comme Aladdin, pour qui existe un trésor — celui qui comble le désir —, Descartes songe à un trésor — intellectuel, cette fois-ci —, celui de la connaissance vraie et certaine que peut atteindre l’esprit; mais à l’opposé d’Aladdin, pour qui le Génie de la lampe est le moyen d’obtenir le trésor convoité, Descartes entrevoit, grâce à la lampe de son esprit, un Malin Génie dont les artifices l’empêchent d’entrer en possession de son trésor; et si Aladdin doit se garder de perdre la possession de la lampe, grâce à laquelle il peut conjurer son Génie, Descartes doit trouver un moyen de contourner les ruses du Malin Génie, fourbe et trompeur, afin de pouvoir entrer en possession de son trésor, de la vérité que dorénavant personne ne pourra lui dérober.

Le sujet épistémique qui ne croit pas qu’une connaissance parfaite, vraie puisqu’elle est éternelle et universelle, existe hors de soi et que la conscience peut parvenir à celle-ci, doit se contenter d’aspirer à une connaissance imparfaite, éventuellement tenue pour être vraie, éternelle et universelle et susceptible d’être imposée comme telle, voire faussement, au nom de la valeur éminente qu’elle est censée représenter pour les esprits judicieux et profonds: telle est la prétention de toutes les idéologies contingentes qui ont constitué, dans l’histoire de l’humanité, un fardeau inique pour elle, avec son lot d’injustice, de souffrance et de misères injustifiables en droit ou apparemment et superficiellement justifiées au plan juridico-politique.

La philosophie peut se concevoir et se définir comme étant une quête authentique de la vérité, pleine par l’universalité de son contenu et entière par l’éternité de sa visée: ce qui en subvertit le projet, c’est la subreption par laquelle l’intelligence accepte pour être entièrement vrai ce qui ne l’est aucunement, ou ce qui l’est incomplètement , une action insidieuse qui répond toujours à un intérêt particulier et qui, se fondant sur un mobile secret, dont le fait de l’inconscience est ignorée par l’intelligence elle-même, déforme et ampute la vérité d’une manière qui n’est pas intentionnelle ou qui, résultant d’un motif délibéré, reconnaît cette impulsion, agit en conséquence de celle-ci et produit un effet un effet analogue, tout en le soustrayant au regard du voisin, pour que celui-ci ne puisse y répondre par un calcul semblable, si cela était son désir et son inclination.

Si le lecteur n’aime pas le propos que formule un livre emprunté à la bibliothèque, il n’a qu’à le déposer, afin de faire cesser son tourment, et l’y rapporter, sans s’en prendre à l’auteur qui a exprimé ses idées en toute candeur, malgré qu’elles aient encouru, sans qu’il ne l’ait cherché, son entier déplaisir.

L’idée transcende l’histoire et l’histoire est le terrain de la réalisation de l’idée laquelle, dans ces deux cas, est le produit d’un esprit qui possède la faculté de l’une et de l’autre action, théorique, quant à la conception intellectuelle développée, et pratique, quant à la possibilité illustrée de lui fournir une réalité.

L’école étant le milieu en lequel l’ignorance se voit comblée, par l’expérience qui en recule les limites et apporte avec elle l’occasion de formuler les conceptions qui en dissipent les vacuités, on peut dire alors, sans trop exagérer, que l’expression «l’école de la vie» décrit tous les milieux, souvent informels, qui s’offrent à la conscience afin de lui fournir les expériences qui enrichissent ses vues et favorisent la profondeur et la maturation du caractère.

Le mystère de l’en-soi est l’en-soi du mystère.

L’innovation pour l’innovation, sans qu’elle ne produise d’amélioration sensible pour ceux qu’elle touche, l’amélioration pour l’amélioration, sans qu’aucun changement substantiel n’en résulte pour ceux qu’elle affecte, sont autant de tactiques employées afin d’empêcher que n’opère une transformation réelle et significative de la réalité visée.

La question d’importance à se poser, dans l’histoire de la France, consisterait à savoir comment, et pour quelle raison, une civilisation qui a atteint son apogée, sous Louis XIV, en vient à succomber à une Révolution aussi terrible et dévastatrice qui n’en laissa que le souvenir, et parfois même la nostalgie, plus de deux siècles plus tard.

La liberté n’est pas au départ une fin, mais un moyen, celui de parcourir et de réaliser la plénitude de la vie et elle ne devient qu’une fin que lorsqu’elle est déficiente, que l’on en est privé, car alors ne reste-t-il aucun moyen, ou seulement un moyen restreint, d’y atteindre, mais encore est-ce porter injure à l’aspiration légitime de tout homme de pouvoir y aspirer.

À l’intérieur d’une société décadente (de l’état noétique jusqu’à l’état hylétique, en passant par l’état psychique), même la conception que l’intelligence se forme le bien subit la corruption qui caractérise son état.

La structure hiérarchique sociale, que la stratification qu’elle opère se fonde sur la vertu, la réputation, la fortune, le prestige, la gloire, la classe ou la race, lorsqu’elle érige l’actualité de son état en schéma idéal absolu, digne d’être admiré par tous les membres de la société, de faire l’objet de leur contribution au maintien de son existence et d’être reproduite à l’infini dans l’ailleurs temporel et culturel, mais peu susceptible de tendre à une perfection nouvelle, puisque considérant l’avoir déjà réalisée en son état, s’expose à connaître et à générer la violence, soit au nom de ces groupes ou de ces individus qu’elle exclut injustement, en raison pour ceux-ci d’aspirer au même idéal de perfection, voire par des voies formelles différentes, mais toutes aussi valables, à bien les considérer, soit au nom de ceux qui dénient la validité de cette quête même et qui s’en excluent eux-mêmes, tout en revendiquant un droit à l’existence qu’ils pourraient se voir niés par conséquent.

Tout objet devient un appât lorsque, offrant la promesse de combler un manque ou de répondre à un désir, il devient l’occasion d’une déperdition physique et morale et de la déception, ainsi que la souffrance, pouvant aller jusqu’à la perte de l’intégrité qui pourrait en résulter: il devient le moyen d’une fraude lorsque l’abus occasionné s’inscrit à l’intérieur d’une délibération conscience et d’un dessein intentionnel.

On déconsidère et on déprécie, aux yeux de ses semblables, la chose dont on veut s’approprier à moindre prix (une œuvre, une chose meuble ou de l’immobilier), pour en profiter au plus haut point, par l’exploitation que l’on en fait, en omettant bien sûr de reconnaître, et de récompenser à leur juste valeur — et parfois même à les dévaloriser et à compromettre leur intégrité, lorsque cela s’avère utile  — ceux qui ont la bonne fortune de la produire, de la découvrir, de l’occuper ou de la posséder à l’origine.

Dès que l’unanimité est requise, afin d’effectuer une décision collective, l’unique détracteur à une intention qui reçoit l’assentiment général — en autant que cela soit véritablement possible — en vient à posséder de facto le droit de véto.

Combien longtemps peut-on s’attendre à ce qu’un ordre social se maintienne dans ses formes légales et par l’entremise de leur application effective, lorsque la moralité de l’ensemble qui fonde leur légitimité se trouve amenuisée par la corruption qui lui porte atteinte peu à peu et culminant  jusque dans sa disparition complète, avec la généralisation de son effet déliquescent ?

Par essence, l’égalitarisme moral présuppose en chacun une moralité équivalente, distincte par la variété des modes de l’expression qu’elle serait susceptible de comporter, mais non pas en raison de la culture de l’excellence qu’elle révèle, ni de la perfection, de la valeur ou de la subtilité de l’âme qui en témoigne; sous sa forme militante, cette idéologie s’attaquera à la vertu dont la présence porte ombrage à la médiocrité de son principe, alors que la seule égalité concevable légitimement vise la perfection dont chacun peut faire l’émulation, tout en sachant que son actualisation véritable échappe aux possibilités des êtres vivants.

Le problème socio-économique fondamental: l’intérêt de soi dans son rapport à l’intérêt d’autrui et à l’intérêt en général; la déviation socio-politique essentielle qui lui est reliée: l’inauthenticité qui accompagne la conscience fausse et la mauvaise foi.

Influer sur des consciences libres et autonomes afin qu’elles assument leur condition humaine et organiser le territoire et la société de manière à pouvoir réaliser cette fin; conditionner des individus qui y sont disposés à être régentés inexorablement dans leur conduite par la volonté d’autorités constituées, spontanément reconnues ou délibérément auto-proclamées; tels sont les enjeux majeurs de la politique, tels qu’ils sont susceptibles d’être identifiés dans l’opposition liberté — tyrannie.

L’amour, c’est la potentiation, les uness par les autres, de la vie et de la liberté des amants.

Les deux défauts majeurs de l’intelligence: s’emballer pour une idée, peu importe la valeur de vérité de son essence ou la valeur morale des implications pratiques qui peuvent en découler; demeurer aveugle à la qualité véridique et/ou pratique d’une idée, en raison de l’écart trop grand qui existe entre une conception initiale, déjà présente en l’esprit, et celle que l’idée lui présenterait et de l’effort de la volonté requis afin de la considérer et de l’appliquer à la réalité de la nature physique et e la substance morale qui seraient susceptibles de l’accueillir.

La bonté de l’intention, la pureté du cœur, la vérité du propos et la justice de l’action sont les quatre critères moraux contre lesquels évaluer le contenu d’un récit historique ou mythologique.

Toute action, toute création, toute opinion, toute pensée ne sont recevables par la conscience individuelle et collectives qu’en autant où elles sont le reflet d’une valeur morale — la bonté pour l’action, la beauté pour la création et la vérité pour la pensée (l’idée que constitue l’esprit) et l’opinion (l’expression que la conscience en fait) — de sorte qu’en réalité, la liberté se fonde sur la promotion de la moralité et de la perfection de ces idées-valeurs transcendantes et sur le jugement qui est porté sur ses productions (les œuvres, les conduites, les théories et les actions qui en sont issues font toujours référence, implicitement sinon explicitement à ces idées-valeurs).

Quant à la liberté, l’ironie, pour ne pas dire l’absurdité, serait de rechercher à réaliser, étant libre, un degré d’incomplétude ou d’imperfection analogue à celui qu’obligerait à maintenir un état de contrainte et qui justifierait que l’on veuille s’y opposer et le répudier.

L’absolutisme, sous sa forme la plus rigide, qui n’admet pour aucune lacune, ni dans sa Weltanschauung, autant quant à ce qui est que quant à ce qui devrait être et quant à la désirabilité des moyens appropriés, utilisés pour l’atteindre, ni dans l’interprétation qu’elle est susceptible de recevoir, autant quant aux significations qu’elle véhicule que quant à la flexibilité avec laquelle adapter son message à la réalité de l’histoire, exigera par définition que l’on accorde à ses adeptes le droit d’exister et de vivre selon ses enseignements, au nom d’un principe de droit général, tout en excluant de sa visée morale et politique les consciences qui seront en désaccord avec ses principes, au nom d’un droit particulier — celui qui cautionne et qui promeut sa supériorité indéniable —.

Comme pour l’homme, la liberté consiste, pour la femme, en la possibilité effective dont elle dispose d’accomplir, conformément à sa nature et à sa capacité, le plus grand et le plus admirable bien concevable et réalisable.

La résistance à l’évocation d’un traumatisme ou d’une situation éprouvante réside très souvent en le refus de revivre, dans le souvenir, l’expérience qui se rapporte à ces événements, en raison de la douleur intense que cette anamnèse fait surgir en la conscience, et qui semble à ce point intolérable à celles-ci — peut-être en raison du passage du temps et de l’amplification subséquente de la blessure à l’amour-propre qui en a résulté — que l’éventualité de la revivre devient inadmissible, sauf si elle est accompagnée de la satisfaction de se savoir justifié dans son innocence, puisque la conscience peut s’estimer être pure de toute participation à la production de son occurrence.

Plus une situation devient complexe, plus elle requiert que l’on se penche sérieusement sur elle afin de la comprendre, plus l’analyse que l’on en accomplira afin de l’appréhender sera intensive, profonde, extensive et exhaustive et plus la théorie formulée afin de l’élucider sera complexe et abstraite et comportera des risques de se tromper.

La raison d’être de l’État est le droit que l’idée adéquate de la justice inspire: ainsi serait-il surprenant si, ayant perdu son idéal et s’étant vu corrompre par des agents que l’intérêt individuel mène avant la poursuite de celui de l’état, il puisse se rétablir et retrouver son élan vers la perfection qui auparavant le caractérisait, sans qu’il ne dût sacrifier ces prévaricateurs et les remplacer par des serviteurs que la pureté du cœur et la droiture de l’esprit permettent d’espérer un retour à la finalité première.

Aimer une personne en raison de la promesse qu’elle représente de combler ses désirs les plus chers, voilà ce qui est sans doute le sentiment le plus naturel de l’être humain; mais aimer une personne pour ce qu’elle est, parce qu’elle est qui elle est, y compris en vertu du devenir le plus élevé auquel cet être peut aspirer (et que, dans sa liberté, elle peut choisir de ne pas accomplir), voilà ce qui représente en effet la forme la plus élevée et la plus profonde de l’amour.

L’anonymat est un état ambigu en ce qu’il permet e faire le bien en toute humilité mais aussi de commettre le mal en toute impunité.

Le bien comme le mal sont tous deux des concepts sociaux en ce que leur essence se révèle, directement ou indirectement, aux conséquences bonnes ou mauvaises sur la personne de son ou de ses semblables: accomplis sciemment et intentionnellement, ils sont attribuables à la bienveillance ou à la malveillance de leur auteur; accomplis sans dessein préalable ou sans préméditation, ils sont attribuables soit à l’innocence, soit à la naïveté influençable, soit à l’inconscience de leur auteur.

Se considérer libre d’agir comme on agit, parce que l’on en a la possibilité, illustre une puissance
alors que se considérer libre d’agir ainsi que l’on agit parce que l’on accomplit le bien illustre, en plus de la puissance, la bonté: la première forme de la liberté illustre la vie sous sa forme la plus brute, la seconde, sous sa forme la plus sublime et morale.

Il faudrait éviter de dire, paraît-il, «Fontaine, je ne boirai plus jamais de ton eau»: mais comment parvenir à l’obéissance complète à la signification de cet adage, dès lors que celle-là est, selon toutes les apparences, à jamais tarie.

Le droit d’aînesse et le droit d’auteur se ressemblent en ce que, si beaucoup reconnaissent la légitimité de ces principes, peut la reconnaissent en réalité dans les faits.

La mauvaise foi est à la raison canonique, étant un défaut de la raison droite, comme la pensée inadéquate est à la bonne foi, c’est-à-dire une carence de l’authenticité du mobile.

Comme l’on peut, à l’instar de Rilke, souhaiter à chacun sa propre mort (et non celle qui est réservée à un autre), l’on pourrait aussi souhaiter à chacun la femme qui lui est destinée, ou à chacune le mari qui lui convient, cela de tout temps, sans égard pour le caprice des circonstances et des humeurs d’un destin aveugle et étroit.

Opter en faveur du moindre mal, ce n’est pas encore désirer le plus grand bien et œuvre à l’accomplir; établir les conditions qui produisent des maux, dont l’un est le moindre de l’autre, n’est pas encore mettre en place celles qui susciteraient des choix qui tendent toujours à vouloir et à produire le plus grand bien possible.

Aucun effort d’offusquement — qu’il soit actif, comme pour en nier le fait, ou simplement passif, comme étant la conséquence du passage du temps et d’une préoccupation trop grande pour l’immédiateté actuelle —, ne pourra faire totalement faire oublier que la matière originelle de la philosophie fut la mythologie et que, au même titre qu’elle, celle-ci fut une tentative d’expliquer l’immédiateté d’une actualité dont les effets et les enseignements seraient toujours contemporains, malgré le passage du temps et la suite des générations successives.

Les mythes Grecs attribuent à Eros l’extraction du monde du chaos originel à l’intérieur duquel il était renfermé, un effet et une action que la pensée moderne attribueraient à la raison, en voyant en celle-ci la faculté apte à organiser un état selon des catégories en vue de réaliser une fin: ainsi, la raison originelle qui a agi selon ces mêmes principes a-t-elle été désignée par les Anciens sous le vocable d’Eros, ce qui nous amène à conclure que la raison ordonnatrice du monde est la raison d’Eros et nulle autre que celle-ci.

La véritable anarchie consiste non pas tant en un refus et un rejet des structures établies, qui sont appelées pourtant à se transformer et à évoluer, conformément à une entéléchie qui est immanente à leur essence, en réponse aux conditions changeantes du milieu et aux impératifs nouveaux qu’elles peuvent faire naître et de la conception adéquate, peut-être plus élevée, qui en résultent, par les principes transcendants qu’elle porte à énoncer , comme devant fonder la statique de l’organisation naturelle et sociale et la dynamique culturelle et vitale du monde et de ses populations diverses, allant du plus simple au plus complexe et du moins perfectionné au plus perfectionné.

Le sentiment de la vie — celui que la conscience de l’être éprouve d’être vivant — est le sentiment le plus fondamental que possède l’être vivant et il antécède la conscience qu’il en possède, comme aussi celle de l’univers qui l’entoure, quoique l’état de celui-ci — dans sa statique, sa dynamique, sa spécification, sa diversité infinie et son immédiateté — en constitue un aspect important et nécessaire, en raison du rôle et de la fonction essentielle, joué par lui dans son maintien et sa préservation.

Plus de péchés, mais des crimes ou des accidents; plus de fautes, mais des erreurs et des imprévoyances.

Si Gaïa n’avait pas causé que se produise l’émasculation de son époux Ouranos, en incitant son fils Cronos à commettre cet acte abominable sur son père, celui-là aurait-il pu accéder à un règne qu’il estimait pouvoir protéger seulement en dévorant ses enfants ? Par ailleurs, s’il advenait que non, nul besoin alors que Rhéa, l’épouse de Cronos, protège Zeus de la cruauté de son père, en établissant alors la condition de la résurrection de ses autres frères et sœurs Olympiens, préalablement ingestés par leur père.

Le double principe dynamique du statu quo: ignorer, ou discréditer, les initiatives valables ou les idées admirables, en provenance du milieu social, appréciables en vertu de la bonté de leur promesse pour le bien-être de l’ensemble; encourager, ou du moins ne pas décourager, les idées et les initiatives qui, en perpétuant l’état actuel, ont le mérite de n’être ni exceptionnelles par leur valeur, ni excellentes par leur qualité.

Le Verbe (Verbum, Logos, Paël) réalise, dans l’action qui en procède, la réconciliation des opposés qui sont apparues au cours des siècles et des millénaires, à l’intérieur des cultures et des civilisations de l’humanité, entre le Logos et l’Eros.

Le crime parfait est celui que l’on commet avec la sanction voire passive des autorités, n’étant pas légalement constitué en délit, ou encore l’action que, par habitude, l’on n’identifie pas comme étant de nature délictueuse.

Le droit étant une émanation de la justice, le principe de l’égalité de tous devant la loi, pour être légitime, présuppose que la loi est au départ juste, c’est-à-dire adéquate et impartiale, autrement celle-ci en invalide la portée et l’intention.

L’hypocrisie de l’amour est un concept qui renvoie à la conformité aux formes de l’amour, telles qu’elles peuvent être socialement commandées et artificiellement instituées, comme étant le produit d’une culture, sans qu’elles ne répondent à aucune substance réelle, sauf celle qui est requise afin d’en rencontrer les prescriptions.

La force vitale qui détruit constitue également l’expression de la vie et cette action peut être soit consciente et délibérée, soit inconsciente et volontaire, tout en étant soi bénéfique — lorsqu’un médecin tue le microbe qui compromet la santé de l’individu ou d’un ensemble d’individus — soit malveillante — lorsque la destruction cause aléatoirement et sans justification possible une souffrance ou une douleur qui peuvent aller jusqu’à une déficience permanente et la perte de la vie —; cependant, lorsque la destruction émane d’une action involontaire et inconsciente, elle risque aussi de porter un préjudice irrémédiable à des sujets qui sont nécessaires à la conservation  de sa propre vitalité et entraîner sa propre disparition, tellement le lien qui unit les êtres vivants entre eux est organique et complémentaire, car non seulement le sacrifice de son semblable à un caprice ou à un désir égoïste est-il injuste et cruel, il est aussi immoral et criminel.

La princesse attend avec impatience que son Prince charmant vienne la tirer du profond sommeil qui engourdit son existence, mais qui vient réveiller le Prince charmant pour lui inspirer sa mission salvatrice ?

Au logos spermatikon corrrespond le terreau fertile de l’intellect passif qui en transforme la substance prolifique en matière nouvelle, intellectuelle ou sensible — une idée, une théorie ou une œuvre — et qui, afin d’accomplir cette action, lui procure la richesse de l’expérience et l’imagination qui la conserve dans l’esprit afin de d’assurer sa correspondance avec la réalité de l’existence qui, dans sa continuité, s’avère toujours changeante, par la multiplicité des aspects sous lesquels elle s’offre à la conscience.

Il y a certes là de la perversité à voir de la perversité, là où il n’en existe aucune et encore plus à faire naître de la perversité, là où ne se trouvait aucune perversité antérieurement.

L’égalité que l’on réalise suppose doublement l’inégalité: celle qui existe préalablement et que l’on se sent le devoir d’abolir; et celle en vertu de laquelle l’on rend possible cette abolition, en l’imposant d’abord, en illustrant une puissance prédominante, et en la maintenant ensuite, en assurant la continuité de cette ascendance.

La philosophie peut se concevoir comme étant la transcendance, à la fois théorique et pratique, de l’habitus individuel et collectif que la conscience estime être inutile, onéreuse, perverse, contre-productive ou autrement moralement indésirable.

 La raison n’est que l’instrument de la justification théorique et rhétorique et de l’actualisation pratique et technique des idées et des valeurs qui, elles, procèdent de l’intelligence qui les découvre par la contemplation de l’ordre, de l’être et l’introspection de l’ordre de l’esprit et, pour cette raison, elle est au service de l’intellect qui en encadre et en gouverne l’activité, par les choix que celui-ci l’amène à vouloir concrétiser et réaliser.

Le négativisme idéologique entraîne doublement la négativité de l’action: d’abord en encourageant l’action contraire à l’état et à la position à laquelle elle oppose son idée; mais aussi en semant le doute dans l’esprit qui pourrait être disposé à défendre celle-là, de sorte à causer la suspension de l’action qui la soutiendrait, du moins durant le temps pour lui de regagner la confiance en la valeur de sa matière.

Tout effet, même positif et bénéfique, qui se produit sur un état établi, étant susceptible d’en perturber le cours et de requérir une adaptation de la part de l’ensemble et de ceux qui sont affectés par lui, il est inévitable qu’il suscite une opposition qui est proportionnelle à l’importance de la cause et à la magnitude du résultat qui s’ensuit.

Toute situation établie est l’expression d’un fait accompli, comme le laisse entendre la formule qui en reconnaît la fatalité, le «c’est ainsi» qui le constate et qui peut sembler l’excuser, lorsqu’il invite à la résignation ou à l’indifférence; mais lorsque l’on sait que le fait est censé confirmer le droit, autant celui qui prévaut et dont la conscience est pénétrée que celui qui est pré-existant, en raison de l’éternité et de l’universalité de son essence, c’est la qualité événementielle propre de son avènement, dans le reflet effectif de la bonté qu’il représente, ou qu’il serait censé représenter, qui devient la considération primordiale incitant soit à l’approuver, soit à le condamner, en évoquant le concept même du droit qui, en raison de la moralité dont il est le défenseur, serait censé attester de sa légitimité ou au contraire de constater combien il dérogerait d’une valeur salutaire; alors seulement, le «c’est ainsi» devient-il le premier moment d’une découverte ou d’une redécouverte de la liberté, en mettant la situation ou l’événement qui porte à l’énoncer sur la voie qui en aperçoit la moralité réelle et effective, seule condition possible d’une liberté véritable et intégrale.

En maintenant sans distinction ni questionnement le statu quo, comme les formes juridiques qui sont le moyen par lequel l’état actuel s’est établi, l’intelligence présuppose alors que, à l’instar de Panglosse, «tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes», i.e. que la justice parfaite prévaut, que chacun la réalise intégralement, en actualisant une moralité accomplie, et que chacun reçoit la reconnaissance adéquate de sa qualité, de son mérite, de sa vertu et de la valeur réelle de sa contribution.

L’obsession du pouvoir que détiennent les autorités, constituées ou auto-proclamées, porte les éducateurs à obliger les étudiants à se rallier à une forme d’ignorance collective, telle que les lacunes incontestables de la doctrine officielle la leur représenterait, et les agents politiques à agir d’une manière analogue face aux citoyens en général, voire même à recourir à la violence afin d’accomplir cette répression de la vérité, telle que des consciences naïves peuvent l’intuitionner et les consciences éclairées l’exprimer.

L’ignorance dont elle ne peut dépasser l’horizon est peut-être le plus grand empêchement à son développement que peut rencontrer la culture d’une institution ou d’une société, à un moment ou à une époque de leur histoire, à ce point tel que, si elle ne sait la surmonter, la décadence qui en résultera inévitablement en viendra à compromettre les possibilités de son existence même.

Dans un régime totalitaire, qu’il se fonde sur le charisme du chef ou de ses élites ou qu’il s’établisse sur une doctrine unique et imparfaite, les seuls crimes qui resteront impunis sont ceux qui se commettraient par lui, par l’entremise de ses agents politiques et de ceux qui agissent en son nom, par une espèce de solidarité partisane avec eux, en invoquant une raison d’État défectueuse, alimenté par l’ignorance, l’incompétence, l’intérêt mal compris (ou trop bien compris), le zèle excessif, la malice ou simplement l’imperfection inhérente à la nature humaine, et lorsque les autorités les châtieront, elles le feront sous le couvert du secret, afin de ne pas compromettre son image aux yeux d’une population cynique et exacerbée.

Afin de mieux encore asseoir le statu quo de la médiocrité, l’on banalise l’extraordinaire qui s’offre spontanément à la conscience, souvent en noyant la conscience publique avec un spectaculaire artificiel et controuvé, et on cherche à procurer à l’ordinaire un caractère exceptionnel et spectaculaire.

Tels sont ceux qui dénoncent formellement la guerre tout en agissant de telle manière à l’engendrer, par les injustices qu’ils ne cessent de commettre et qui ne peuvent que soulever l’indignation de la part des consciences justes et éveillées.

Comment ceux à qui échappe la présence effective de la vertu en eux sauraient-ils reconnaître celle qu’illustre manifestement leurs semblables; comment ceux qui ignorent tout de l’honneur pourraient-ils se laisser inspirer par le sens de l’honneur qui anime leurs congénères ?

Si la plénitude de la vie est la fin légitime de tout être vivant, comme l’on pourrait s’y attendre dès que l’on y songe bien — car quel individu doué de la vie et appréciant le bienfait de son état ne souhaiterait-il pas que celui-ci se magnifie et se perpétue sans interruption ? — la vertu agissante qui le procure en devient alors le moyen par excellence de son actualisation.

L’expression: «Plus ça change, plus ça reste pareil» révèle, par la paradoxe qu’elle énonce, une vérité phénoménale du mouvement de l’esprit historique par lequel, matériellement, l’on puisse observer des transformations dans l’organisation de la nature et de la société alors que, formellement, les principes, les valeurs, les idées, les désirs et les mobiles qui les produisent demeurent invariables et constants dans leur capacité des nouvelles manières de se manifester.

Les nationalismes ethnocentriques ont la fâcheuse habitude de réserver à leurs congénères uniquement l’application de leurs excellents principes ainsi que la jouissance de leurs lois magnifiques, comme la protection qu’elle offre à leurs ressortissants, à l’exclusion des autres ethnies et des autres peuples, sauf lorsque c’est dans leur intérêt d’agir autrement et pour aussi longtemps que celui-ci est avantagé par cette tactique.

            pensée
---------->    connaissance    théorie   

MONDE    vie
----------->   
expérience    réflexion   
sagesse
            technique   
            ----------->
action    art    pratique   


Il existe une notion existentielle capitale qu’il vaudrait la peine d’approfondir, la condition de l’état, individuel ou collectif, par laquelle l’on tenterait de désirer et d’expliciter la réalité spécifique d’un au monde, tel qu’il est influencé par une multitude de facteurs contingents — la culture, l’histoire, la géographie, la sociologie, l’expérience de vie, telle que vécue et éprouvée subjectivement —, mais néanmoins déterminants pour l’individu qui, les subissant, est susceptible de se laisser dominer par elles, souvent au prix de l’intégrité de son individualité, de son unicité et de sa particularité, ou qui, les surmontant par l’action et les transcendant par la pensée, par les transformations qu’il leur apporte et par la prise de conscience qu’il peut en faire, permet d’accomplir.

Quel besoin a-t-on d’invoquer le droit et de se conformer à ses sains principes lorsque la fonction que l’on exerce ou que la position sociale que l’on occupe autorisent à faire l’usage de la force ou de la ruse afin de réclamer ce que la convoitise ou le caprice commandent de s’approprier: tel est l’argument du voyou et du coquin qui se cache derrière un semblant de dignité afin de mieux encore réaliser son forfait.

Si l’Église consent à courir avec les loups, ce ne doit être que pour sauver les agneaux et non pour concourir à les sacrifier: mais peut-on jamais entreprendre, par ces moyens, de poursuivre une si noble fin et espérer s’en tirer indemne ? Cf. le père Gabon dans la «Chute des Aigles» qui collaborait avec l’OKRA, la police tsariste, et en tirait des contributions dans l’espoir uniquement d’aider les travailleurs et qui, ayant été dénoncée par elle auprès des révolutionnaires, finit ses jours sur l’échafaud.

La stratification sociale est la réponse qu’apporte la société dans l’effort qu’elle déploie de se réorganiser après la dissolution sociale occasionnée par la «déhiérarchisation» opérée sur elle, au nom de la liberté, par les réformes et les actions révolutionnaires.

Toute stratification sociale s’opère en raison de distinctions fondées sur les qualités, grâce auxquelles les élites peuvent se démarquer face à la généralité, selon le degré de leur réalisation et de leur actualisation à l’intérieur de la population.

L’intelligence se définit toujours par rapport à un intérêt: or, c’est dans la nature de celui-ci — noétique, psychique ou hylétique — que l’on doit en découvrir la valeur réelle et la portée effective, existentiel et pratique pour celui-ci, émotionnel et équilibré pour le second et transcendant, universel et éternel pour le premier.

Une manière de duplicité: on met en suspens le droit, avec l’aide de complices et avec l’accord tacite de témoins complaisants, lorsque l’on y trouve quelque bénéfice ou avantage mais l’on se réfugie derrière des principes admirables et excellents, lorsque sa propre sécurité et son propre bien-être sont à risque et pourraient bien être compromis.

L’hypothèse du déterminisme historique se pose dès lors qu’aucune volonté apparente d’infléchir le cours des événements ne parvient à prévaloir et qu’aucune possibilité raisonnable n’est entrevue de produire un tel effet, ce qui ne signifie pas qu’aucune volonté n’est à l’œuvre afin d’orienter l’ordre de l’actualité, voire même qu’elle n’est pas apte présentement à être identifiée.

Chaque instant, chaque moment de l’histoire exprime, soit en l’embrassant, soit en le niant, soit en l’approximant, mais toujours en la manifestant et en substantifiant l’essence d’une volonté transcendante qui constitue le cours éternel de la réalité qui ne se laisse pas observer dans les péripéties mêmes de son développement, mais qui se laisse appréhender uniquement en rétrospective et avec un recul suffisant pour en déceler les patrons et conclure à un aboutissement qui, à ce moment, prendra l’aspect d’une occurrence irréversible et d’un destin apte à conditionner tous les mouvements historiques futurs.

C’est souvent au nom d’une perfection plus grande que souhaiterait réaliser et obtenir le contradicteur que celui-ci oppose le refus de la perfection actuelle qui prévaut — et qui fonde l’ordre qui en concrétise les valeurs et les principes qui en inspirent l’instance —, mais quelle garantie existe-t-il que l’alternative envisagée constitue réellement une amélioration de ce qui existe ou qu’il est en son pouvoir de lui apporter la bonification qu’il prétend instaurer ?

La lutte des sexes est à la droite des ayants-droit, acquis au prix de luttes historiques ou favorisés dans leur état par une constitution politique et sociale qui leur est favorable, comme la lutte des classes est à la gauche des sans-droits, ceux-ci en étant dépourvus, privés qu’ils en sont ou autrement aliénés qu’ils en furent.

La qualité du chef de l’État que reçoit une société afin de l’encadrer et de la diriger constitution l’attribution au plus haut point de l’excellence à laquelle les membres de la société peuvent espérer pouvoir réaliser eux-mêmes de sorte que plus un chef d’État est admirable et louable par la profondeur et la compréhension de ses aptitudes et par l’excellence et la valeur de leur réalisation, plus les membres de la société trouveront un encouragement à réaliser la perfection de leurs propres dispositions, sauf à se complaire eux-mêmes dans l’inertie que leur procure un statu quo qui répond à leur suffisance et qui n’exige pas qu’ils sachent se dépasser eux-mêmes en aspirant à une perfection qui témoignerait de l’importance qu’ils accordent à la vertu et à la droiture du caractère.

Un État amoral fera tout en son pouvoir afin de se conserver en son état, lequel peut être excellent à certains points de vue — et peut-être à de multiples égards — et méritoire de cet effort à l’auto-conservation — la vie étant le premier des bienfaits et certainement celui que chacun prise par-dessus tout les autres — en vue de parvenir à une excellence encore plus achevée, mais aussi médiocre à d’autres et, afin de réaliser cette fin, il invoquera la raison d’État en vue de se justifier intégralement aux yeux de ses détracteurs et ainsi les moyens qu’il songe employer — voire qu’ils soient parfois douteur, d’un point de vue moral, et répréhensibles lorsqu’ils engagent la moralité individuelle et la recrutent en des sens qui tairaient les voix de la conscience personnelle — qui lui assurerait, pour un temps, la stabilité qu’il se propose de maintenir indéfiniment.

Quelle que soit la direction que prend l’histoire, celle-là provoquera l’apparition de sa part d’irréductibles (mais non pas les mêmes d’une direction à l’autre) et la résistance qui s’ensuivra, en raison des intérêts différents et distincts qu’elle compromettra et de la volonté de les préserver nonobstant: cette généralisation se vérifiera, que l’on assiste à un progrès tourné vers l’avenir, un régression vers un temps supposément plus heureux ou une stagnation qui voudra préserver les acquis préalables qui fondent les configurations de l’actualité; ainsi, seuls ces esprits pénétrants qui sauront déceler dans les battements de la vie des peuples et des civilisations l’expression d’une volonté universelle et transcendante, et qui seront prêts à régler leurs conduites et leur actions sur l’interprétation qu’ils en feront, seront épargnés l’ignominie d’une relégation aux confins de l’échec et de l’oubli, sauf évidemment à l’intérieur d’un régime où toute référence à la transcendance et à l’universalité prend l’aspect d’un tabou, en lequel cas ils risquent l’exclusion et la marginalisation s’ils n’ont pas acquis l’habileté de se fondre dans le décor.

Le problème avec la dialectique hégélienne, c’est que par définition elle pose l’existence d’un d’un relativisme généralisé des idées transcendantes, n’allouant pour la perfection de la conception, ni de la bonté, ni de la vérité, ni de la bonté et donc, en justifiant, au nom d’une idée meilleure à celle qui est proposée, la négation qui se transforme, en raison même de cette relativité implicite, en la proposition d’une forme alternative censément supérieure, alors qu’autrement, elle n’en serait qu’une manifestation distincte que conditionne un monde divers et changeant.

Lorsqu’un individu fait partie d’un ensemble, il ne peut à vrai dire agir de façon autonome et indépendante sur lui afin d’en transformer la nature, mais il doit opérer à l’intérieur de celui-ci d’une manière qui corresponde à sa propre essence, comme à celle de l’ensemble et éventuellement résister à l’action que peut subir ce tout, et l’affecter en tant qu’il est un individu, mais sans pouvoir la conditionner effectivement, ni l’arrêter entièrement, puisqu’il en est ni l’auteur, ni la conscience agissante et dirigeante, lesquels sont indépendants du tout sur lequel ils opèrent l’action déterminante qui est entreprise, pour quelque motif que ce soit.

L’histoire de l’humanité dans ce qu’elle a de plus tragique, autant au plan collectif qu’au plan individuel, est fondé sur un rapport de la mémoire à l’infidélité dont se sont rendus responsables ses membres, résultant de l’oubli que l’on tente de faire de ses conséquences terribles et jusqu’à sa commission, un oubli qui peut être intentionnel lorsque le particulier s’engage consciemment sur la voie de la félonie, afin d’éviter la conscience de la responsabilité de ses manquements — on parle alors de répression —, mais qui peut être aussi inconscient, lorsque la douleur engendrée par une infidélité, subie ou imposée par un agent malveillant, et les effets désastreux qui s’en sont ensuivis, est trop importante pour continuer à être présente dans la conscience du souvenir — on parle alors de refoulement —.

Dans l’Antiquité, l’on parlait d’idolâtrie lorsque l’adoration qu’il revenait à la Divinité de recevoir se déplaçait sur la représentation sensible de la Divinité, tenue alors pour L’être devenue effectivement; dans la Modernité, l’on parle d’idolâtrie lorsque le sujet conscient devient lui-même l’objet de cette forme substitutive d’adoration et, puisque le concept même de Divinité a été occulté, à l’intérieur de la pensée générale — de l’épistémè — de cette époque, c’est la notion de narcissisme qui en exprime la réalité.

La loi physique est à la nature comme la loi morale est à la liberté: et puisque toutes les deux émanent d’une puissance qui en dicte l’expression, il est logique de conclure qu’elles sont interdépendantes et qu’elles s’influent mutuellement, d’une manière qui peut-être échappe à l’entendement, mais qu’il appartiendrait à l’intelligence de savoir discerner et adéquatement apprécier.

L’homme est plus à la merci de ses hormones qu’il n’en est conscient — de l’oppression et de la peur pour ce qui est des hommes; de la sexualité et de la sécurité pour ce qui est des femmes — et seule la discipline sur soi que confère un programme d’éducation physique raisonné, accompli en conformité avec les dispositions institutionnelles de chacun, peut parvenir à donner à chacun une mesure de contrôle conscient sur les pulsions inconscientes qui en conforment les manifestations.

Deux principes sont éventuellement à l’œuvre et se conjuguent afin d’expliquer l’imperfection de la réalité: le principe d’incomplétude qui est inhérent à la perfectibilité ontologique de la nature, résultant de ses états qui sont susceptibles de compromettre le bonheur des hommes; et le principe de la corruption par lequel l’on recherche, passivement — par le défaut délibéré d’agir —, ou activement — en empêchant intentionnellement une action ou en créant les conditions de son absence —, cette compromission au nom de son propre bonheur ou de ce qui est pressenti comme tel.

L’idéal, si élevé fût-il et par conséquent si inatteignable qu’il parût à l’esprit des contemporains dont il se recrute l’aval et la conviction, n’est peut-être après tout, lorsqu’il est apprécié à la lumière du potentiel immense de la nature humaine, tel que voulu par le Créateur, que l’impératif hypothétique grâce auquel non seulement il peut espérer recevoir une actualisation, mais encore se relever de la décadence profonde dans laquelle les choix moraux malheureux des générations antérieures l’ont plongée.

La loi du moindre effort exige de profiter le plus possible d’une situation et d’en extraire le maximum des bénéfices pour soi, en veillant à dépenser le moins d’énergie et en déployant le moins d’effort afin d’atteindre ce résultat, sans égard pour les bienfaits qui pourraient en résulter pour autrui ou pour l’ensemble de s’adonner à la pratique contraire et de recueillir, au moyen de l’action intentionnelle et de la volonté génératrice d’un travail correspondant, les fruits de son activité.

Pour un grand nombre, mieux vaut se taire et laisser-faire, devant l’injustice dont ils sont les témoins, qu’agir et risquer la tranquillité dont ils jouissent, eux et les leurs, mais peut-être aussi cela procède-t-il d’une mentalité généralisée à l’ensemble de la société, ou caractérisant un élément de celle-ci, suffisamment prépondérant pour lui imposer sa direction, qui tolère et peut-être promeut l’iniquité, par intérêt et par esprit de conformité, contre laquelle ils se sauraient ou se sentiraient impuissants d’opposer une action efficace.

La gravité des conséquences, pouvant résulter du fait de croire en l’amitié de celui qui n’exprime nullement cet état à son égard, peut parfois être inimaginable, mais elle ne saurait l’être autant que celle de croire que l’amitié n’existe pas ou qu’il n’existe personne pour en porter le flambeau et en témoigner auprès de ses semblables.

Platon est le porte-flambeau de l’idée; Aristote en est le témoin; Socrate en serait-il l’inventeur ?

Patience, dit la limace à la tortue: tous ne peuvent pas se déplacer à la même vitesse que toi !

Il est normal que les institutions d’un ordre politique et social en justifient l’existence, par leur pensées, leurs discours et les règles qui encadrent leurs actions, puisqu’elles en sont à la fois les gardiens, les inspirateurs, les formateurs et les agents, mais là où elles sont aptes à essuyer la critique, et éventuellement les reproches légitimes, c’est lorsqu’elles acceptent comme étant des a priori éminemment valables les valeurs et les principes qui sont à son fondement, comme s’ils étaient parfaits et parfaitement observés et qu’ils ferment les yeux sur son imperfection comme sur sa corruption (ainsi que la stagnation et la régression, voire la décadence, qui les caractérisent), comme si cette dégradation du droit était en réalité l’illustration d’un état indépassable et insurpassable, apte à susciter l’admiration chez tous ceux qui en observeront les réalisation et même à l’imposer, lorsque le régime qui l’exprime poursuivra ses fins iniques en recourant à la ruse et à la force.

Le mal commence à s’enraciner dès que la conscience n’aspire pas sincèrement et fermement à réaliser le plus grand bien et à mettre en œuvre tous les moyens aptes à réaliser cette ambition, et plus l’indifférence à l’actualisation et à la présence du bien est grande, plus celle-là se rapproche de moment où elle devra constater l’exacerbation du mal qui en résultera, du fait de sa médiocrité et de son inaction.

La légalité est la forme inférieure de la moralité et, lorsqu’elle n’est pas conforme à une notion élémentaire de la justice, elle ne peut être englobée dans le droit et devient alors la manifestation de la criminalité étatique — puisque c’est à l’État que reviennent, en droit, le devoir et la responsabilité d’appliquer les principes de justice et de formuler un droit conséquent et significatif qui les reflètent.

Afin de mieux pouvoir croire et faire croire en la valeur de sa propre théorie, il vaut mieux pour certains de détruire toutes les autres — y comprises celles qui sont véhiculées par la tradition et, lorsque cela sera possible, les tourner en dérision ou ridiculiser ceux qui les défendent —; et si, telle qu’elle est exprimée ainsi, cette stratégie peut paraître irrecevable, l’histoire nous apprend qu’elle est pourtant celle à laquelle ont recours un certain nombre d’idéologues qui, pour se donner une plus grande crédibilité, se présentent comme étant des penseurs de bon aloi.

Quand le contenu du savoir détermine la position existentielle qui est la sienne, conçue en termes de la situation sociale et de l’appartenance à la collectivité, avec tous les avantages en prestige, en autorité, en titres et en biens qu’elle procure à l’individu, toute remise en question de ce savoir, au-delà d’une marge de tolérance qui conforte et semble confirmer le sentiment de la liberté réelle dont il disposerait en cette situation, devient une remise en question de celle-ci, indépendamment de la valeur de vérité qu’elle représente, une telle attitude — érigée en loi sociologique — exprimant une forme de conservatisme primaire, c’est-à-dire instinctif, irrationnel et irréfléchi.

Lorsque l’on s’arrête à considérer la complexité, la subtilité, la profondeur et la sublimité de l’esprit humain, ainsi que sa capacité à accomplir la vilénie, l’horreur et à la nuisance à la vie, avec la variété de ses sentiments, de ses pensée et de ses émotions ainsi que l’unicité, à la fois de l’expérience qui en distingue la vie et de la virtualité (ainsi que la possibilité de l’individu) qui la réalise dans sa subjectivité, rien d’étonnant alors que la conscience veuille se réfugier dans l’intelligence approfondie et exclusive de la nature subjective et des potentialités qu’elle renferme qui, si elles participent, mais en moins, des qualités de l’esprit relevées plus haut, engageront la subjectivité de l’intelligence moins entièrement dans tout ce qu’elle comporte elle-même de cette dimension morale, voire que les techniques et les actions qui découleront de la science qu’elle fait naître sont aptes en même temps à les révéler au plus haut point.

La conscience des deux conceptions du temps: un temps cyclique — celui du mythe — qui se répète à l’infini, selon des phases significatives et récurrentes; et un temps linéaire — celui de science — qui consiste en une consécution de moments singuliers et discrets dans une seule direction, du passé vers l’avenir, constitue peut-être un des plus grands défis posé à l’intelligence humaine, dès lors qu’elle refuse de tomber dans le piège de voir en l’un ou en l’autre une conception exhaustive qui, à elle seule, est susceptible de rendre compte de la réalité de l’expérience, individuelle ou collective; mais elle suppose également que l’on acquiert une théorie adéquate du mythe et du savoir afin de comprendre en quoi l’un et l’autre sont, sous certains égards, également vrais, autant lorsqu’ils énoncent des propositions, dogmatiques pour le premier et apodictiques pour le second, que lorsqu’ils se contredisent ou qu’ils se complètent, le cas échéant.

Ceux qui n’ont jamais fait l’expérience de la plénitude de l’amour, n’ayant jamais véritablement aimé ou ayant aimé incomplètement, ne sauraient comprendre ce que peut être l’état en lequel se trouve la personne qui est amoureuse, ni en quoi l’amour éprouvé peut être à la fois envahissant et prédominer jusque sur les facultés morales et rationnelles de celui-ci.

La conscience de l’homme n’agit pas sur le temps de l’actualité à l’intérieur de laquelle le cours de son existence se déroule comme si aucune profondeur, ni aucune complexité ne venaient étayer l’être qu’il est devenu et comme si l’avenir qui en procéderait en était immanente et surgirait d’elle comme par magie, spontanément, sous l’effet d’aucune agence presciente et d’aucune imagination productive, en réponse peut-être à des lois biologiques mécaniques — celles qui sont propres à la génération et à l’instinct de la conservation de l’espèce — mais non pas à une intelligence qui transcende les catégories de l’espace et du temps pour se situer au plan de l’universel, de l’infini et de l’éternité: voilà quel est le drame humain de la période contemporaine de l’histoire de l’humanité — d’un côté, le gouffre d’un néant dont elle serait issue et, de l’autre, la promesse d’un inconnu dont elle ne saurait appréhender les contours ni raisonner la nécessité qu’il soit une continuation et une progression effectives.

Le paradoxe de la démocratie est qu’elle a recours au principe de l’inégalité utile afin de justifier implicitement l’instauration d’une hiérarchisation dont la fin est d’assurer, grâce à cette structuration, l’égalité sociale et politique de l’ensemble social.

On parle souvent du bras armé de la politique, afin de lutter contre ceux qui sont réputés être, à tort ou à raison, les ennemis de l’État, mais rarement évoque-t-on son bras subversif et perfide, souvent utilisé subrepticement afin de neutraliser les éléments qui sont estimés être des mauvais acteurs sociaux ou des gêneurs dérangeants de l’ordre établi.

L’esprit est la faculté de la connaissance impersonnelle, objective, comme le cœur est celui de l’expérience personnelle, subjective.

La réalité des trois idées transcendantes que sont la bonté, la vérité et la bonté s’expriment dans les trois facultés de la vie que sont la puissance, la science et la présence, dont l’action unifiée concertée manifeste l’unité et la cohésion de leur état, et leur plénitude se découvre dans l’omnipuissance, l’omniscience et l’omniprésence divines comme la dissociation que la pensée opère entre l’idée de l’essence et la réalisation qu’en opèrent les facultés exprime une décadence de la pensée que conditionnent uniquement la matière et le sens.

La tendance naturelle et irrésistible pour un être de persister en son état, un principe fondamental énoncé par Spinoza comme caractérisant et dynamisant l’être vivant et social, ne saurait avoir de sens au plan de la vie en société que s’il se complète de celui d’une tendance, toute aussi naturelle et irrésistible, pour un être à se porter garant de son semblable et à le protéger héroïquement, même au prix parfois de sa propre existence.

Puisque la sécurité est une condition de la paix et de la liberté, de la paix qui en signifie la présence et de la liberté qui l’apporte et la conserve, et que ces deux états exemplifient la qualité de la justice qui prévaut et du droit qui en spécifie les principes, sans lesquels elle ne saurait être instaurée, nulle paix ni nulle liberté ne sont véritablement réelles et actuelles sans une justice effective et véritable.

Si intelligent fût-il, l’homme particulier qui s’en tient à sa propre compréhension des choses se trouvera tôt ou tard confronté à la profondeur abyssale de sa propre ignorance mais, dans le cas de l’homme générique, à la formation duquel participe un nombre appréciable de générations, des siècles peuvent séparer le moment de la découverte de la puissance de sa faculté intellectuelle phénoménale et celui de la prise de conscience effective de ses limites.

Un État formaliste et procédurier, puisqu’il se content de définir les conditions de la vie en société, sans se sentir obligé de participer activement à son déroulement, s’il n’est pas entièrement désintéressé et, par conséquent, s’il ramène tout à la possibilité pour lui de maintenir son état, indépendamment de la qualité et de la bonté de sa nature, a la possibilité de transformer, à sa convenance, toutes les vertus en vices et tous les vices en vertus, pourvu que cela satisfasse à ses mobiles et à ses motifs de croître, de prospérer et surtout de se préserver lui-même.

Par un effet énigmatique qu’il resterait à expliquer, une science ancienne qui a été oubliée, soit qu’elle ne se soit pas transmise, faute de candidats pour en perpétuer la tradition, soit qu’elle ait péri avec la civilisation qui l’a inventée, est estimée n’avoir jamais existé et, puisqu’elle a été remplacée par une science plus actuelle, la conscience contemporaine en viendra à caractériser ceux qui l’ont peuplée comme étant des brutes et des ignorants, et la société qui l’a fait naître comme étant barbare et peu raffinée, comme si le génie scientifique était apparu avec la mémoire actuelle de son expression et comme si ceux qui l’avait précédée avait été incapable de quelque originalité et de quelque imagination que ce soit dans l’appréhension, la réalisation et la communication de la connaissance.

Pour qu’une société se fonde entièrement sur l’entraide et la coopération, ses membres doivent normalement avoir distingué quelles sont les qualités désirables, présentes en chacun, susceptibles de contribuer à cette action commune — laquelle suppose toujours une fin estimable que l’ensemble chercher à réaliser, chacune selon ses dispositions et ses capacités — mais encore doivent-ils avoir appris à savoir les reconnaître en leurs congénères, ce qui suppose qu’ils posséderont le désintéressement requis afin de bien les apercevoir, comprendre leur particularité et les apprécier, le tout dans la mutualité la plus complète et la générosité la plus achevée.

Trois mouvements, auxquels s’associent les agents, les patients, les sympathisants et les simples spectateurs, caractérisent toute vie: un mouvement progressif, ascendant, perfectif, par lequel un être vivant se réalise et s’accomplit selon ses virtualités les plus élevées (l’anabase); un mouvement régressif, descendant, imperfectif selon lequel un être vivant néglige cet achèvement et déchoit, en retournant à un état qualitatif antérieur (la catabase); et, afin d’éviter soit l’effort requis pour le premier, soit les risques inhérents du second, celui où il se maintien dans un statu quo ante et se contente d’une médiocrité statique qui tente de préserver les qualités acquises, souvent en proposant avoir atteint l’optimum désirable ou en prétextant être incapable d’un  changement et d’une amélioration nouveaux, en raison d’un état physiologique ou sociologique acquis — v.g. la détérioration de l’âge ou l’accession à l’âge de la retraite professionnelle —, sans pour autant démériter par rapport à elles (l’isostase).

L’expression «Personne n’est irremplaçable» est en réalité terrible puisque, si elle signifie que parfois l’on dusse se réconcilier avec la contingence de l’existence et avec la réalité de la disparition ou de l’éclipse d’un individu, dont l’importance de la fonction était le gage d’une sécurité et d’une prospérité pour ceux qui l’entourent, elle tend néanmoins à nier ou du moins à occulter l’unicité de la personne, la valeur de sa qualité, l’excellence particulière de son apport à la société et à la nature et le fait que ceux-ci pourraient faire regretter amèrement son absence et même créer les conditions d’une nostalgie que seul son retour pourrait dissiper: telle est la raison de mythes tels que ceux du «roi endormi» (Arthur, Charlemagne) qui se trouve séquestré dans un lieu mystérieux et inconnu et qui un jour se réveillera pour revenir régner sur son peuple et même de la croyance en la résurrection finale et du jugement des fautes et des mérites qui l’accompagnera.

Tels sont ceux pour qui l’injonction d’«aimer» qui est faite à leur prochain n’est en réalité qu’un langage codé, utilisé afin de les inciter à «endurer» et à «subir».

Le pouvoir politique émane-t-il de la situation économique ou le bien-être économique est-il issu de l’ascendant politique et de l’action qui en procède ?

Il y aurait un parallèle à établir entre le suicide de Léda — qui s’est jetée dans le vide du haut du rempart de la ville —, l’épouse du roi de Sparte Tindare que Zéus aurait séduite après son mariage et celui de Lucrèce — qui s’est plongée une épée dans le sein —, la femme légitime d’un proche du roi Tarquin de Rome, que le fils de ce roi aurait déshonorée en la prenant de force; un rapprochement pourrait également être effectué entre ces deux situations et le suicide, raconté dans la série Rome, réalisée par J. Milius, de Niobé —  qui se serait laissé choir du haut d’un balcon —, en raison de s’être laissé séduire par son beau-frère, le mari de sa sœur et d’avoir donné à son mari, un centurion romain qu’elle croyait avoir été tué au combat, un fils illégitime qu’elle aurait fait passer quelque temps pour l’enfant de sa fille, avant d’être découverte et confrontée par celui-là, lorsque son action fut dénoncée par une mauvaise langue ennemie ainsi que celui de Didon qui, éplorée et chagrinée par le départ de son amant Énée vers son destin et ne se sentant plus apte à survivre à cette peine profonde que lui causa cette séparation, se prépara un bûcher et se fit la proie de ses flammes.

Lorsque n’existe aucune incitation, aucune exhortation, aucune excitation formelle à la vertu, lorsque prévaut un relativisme moral tel que le vice se trouve à égalité avec la vertu et que la plus grande vertu consiste à plier à une législation qui se veut amorale, sauf pour les intérêts prédominants qu’elle avantage, sans évoquer le meilleur ou le plus grand bien, soit au plan individuel, soit au plan collectif, alors qu’il ne peut résulter d’une telle posture la décadence de la culture et le sacrifice des individus, souvent les plus excellents et méritoires: telle est la triste réalité du royaume de Mammon.

Comme l’on ne parle que de ce qu’on l’on sait, on juge seulement d’après ce que l’on sait et, ce qui est déplorable, on ne cherche à savoir, par esprit de partisanerie ou par intérêt, que ce qui peut confirmer un préjugé comme on préfère ignorer ce qui pourrait l’infléchir dans le sens de la vérité.

L’irrationnel — ce qui, étant, n’est pas encore compris, soit dans sa raison d’être, soit dans sa finalité, soit dans les modalités de son existence, soit dans celles de ses manifestations — est la matière du rationnel, lequel se fonde sur la faculté conjointe de l’intelligence et de la raison afin de lui apporter une intelligibilité et un sens, selon le principe qui veuille que ce qui n’est ni compris, ni élucidé peut éventuellement trouver une explication et une interprétation — qui dit inexpliqué ne dit pas nécessairement inexplicable, qui dit inconnu ne dit pas en même temps inconnaissable — de sorte que ce qui est tenu pour être ni expliqué, ni explicable tiendra du mystère, ou sera réputé tenir du mystère, tant et aussi longtemps qu’il le demeurera.

L’envergure que l’on ne saurait se donner, et qui pourtant est essentielle à l’exercice d’un pouvoir que l’on détient, que l’on acquiert ou auquel l’on contribue, grâce à un talent inné qu’un travail constant et sérieux verra à faire fructifier, soit en raison d’une collaboration mutuelle avec des collègues ou d’un échange enrichissant avec des amis, devra alors être réquisitionné auprès de participants involontaire, soit en leur soutirant le fruit de leur travail, soit en recrutant leur action, souvent sous le couvert de la ruse et de la séduction dont l’objectif est de produire cette finalité: telle est souvent la source de l’inégalité et de la réification du prochain à l’intérieur d’une société qui déchoit à l’idéal de s’édifier sur l’égalité et la dignité du concitoyen.

Il existe un lien intégral, intime et mutuel, entre l’expérience que l’on vit et l’esprit qui l’éprouve: ainsi, la nature et la qualité de l’expérience immédiate conditionneront-elles l’essence et le contenu de la pensée, comme la valeur et la subtilité de la pensée, altérée par les souvenirs d’expérience précédentes et l’effet qu’ils auront eus sur elle, influeront-elles sur la perception que l’intelligence et la conscience en auront et l’interprétation qu’elles en feront.